Pas très catholique…
Lieux évoqués : Basilique du Sacré-Cœur, Luxeuil-les-Bains
« Dans le couloir au parquet ciré qui menait à l’ouvroir tenu par les religieuses de la communauté du Sacré-Cœur, résonna la voix aigüe et frêle de sœur Marie-Berthe.
– Non mais tu ne vois pas le pli, là ? Fit-elle remarquer à la novice qui repassait l’aube du curé de la paroisse. Tu le connais ! Il va encore nous farcir les oreilles avec ses remontrances !
Sur la pointe des pieds, elle s’empara du lourd fer qui emmagasinait de la chaleur, posé sur le poêle. Son bras disposait encore de la force nécessaire, malgré l’absence de muscles, fondus tout au long des années.
Elle était vieille, sœur Marie-Berthe. Dans la communauté, on disait des bêtises à ce sujet. Elle aurait bien connu le roi Stanislas. Si on ne lui offrait plus de gâteau d’anniversaire, c’est parce qu’il aurait disparu sous les bougies. À une novice qui s’était crue autorisée à lu demander son âge, elle avait répondu :
– Tu ne saurais pas compter jusque là.
C’était, bien sûr , exagéré. Cependant, il ne faisait guère de doute qu’elle se rapprochait de la centaine à grandes enjambées. Elle ne marchait plus qu’à pas comptés.
Mais elle avait gardé un esprit d’à propos.
– Oh toi ! S’écria-t-elle, en s’approchant d’une autre novice. Ton fer est trop chaud ! Et je te vois appuyer… oille, oille, oille… C’est de la dentelle de Luxeuil que tu repasses ! Fragile comme l’innocence d’une jeune fille… Elle ne tolère que les caresses !
Sœur Marie-Berthe s’éloigna en marmonnant, entre ses quelques dents rescapées.
Les caresses… elles en ignorent tout, les pauvres petites.
Mère Marie-André, la supérieure, entra dans le local à repassage. C’était une grande femme qui, trente ans auparavant, avait dû être belle. Elle avait beaucoup de classe. Et des principes. Sur lesquels s’asseyait confortablement sœur Marie-Berthe.
Dans un silence obtenu par sa seule présence, elle déclara :
– Sœur Berthe, deux messieurs vous demandent.
– Deux ? Les affaires reprennent.
Les novices masquèrent leur envie de rire. Elle était très déplacée. Et la révérende mère aurait formulé des réprimandes. Elle exprima son mécontentement envers son aînée par un modeste :
– Sœur Marie-Berthe… s’il vous plaît !
Tout était dans le ton. Sœur Marie-Berthe trottina derrière la Supérieure. Deux hommes, dans la force de l’âge, habillés de complets fatigués leurs visages arqués par les épreuves, la malnutrition et, qui sait ? Par un surcroît de boissons alcoolisées, attendaient dans le hall d’entrée. La Révérende mère les présenta. Pas par leurs noms, elle ne les avait pas mémorisés, mais par leur fonction.
– Ces messieurs sont de la police.
– Je suis innocente ! S’écria sœur Marie-Berthe.
Et d’un air entendu, elle ajouta, à voix basse : ce qui n’est pas tout à fait vrai, mais chut ! »
Michel Gérard, S’il s’en sort vivant !, Éditions du Panthéon, 2012, p. 166
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