Les vases d’Emile Gallé

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Hôtel Thiers, Magasins Réunis, Nancy.

« Fritz ne sarcla ses plantations que quelques jours seulement. Il repartit à Paris, en camion Berliet, cette fois, pour livrer au magasin de la rue Richier les pièces d’Émile Gallé, les dessins ou les maquettes qui déclinaient le mot liberté alors qu’on annonçait la possibilité d’une révision à Rennes du procès Dreyfus. Inspiré d’une œuvre du chansonnier Béranger, le vase « Les hommes noirs » montrait le dangereux amalgame, signé Victor Prouvé sur le modèle de Gallé, de bêtes menaçantes, « moitié renards et moitié loups » ; un vase, dédié au condamné, proclamait « Lumière, tu ne seras pas éteinte », également partagé avec Prouvé ; le vase « Le figuier » citait le Victor Hugo des Contemplations : « Car tous les hommes sont les fils du même père, ils sont la même larme, ils sortent du même œil. » Un croquis annonçait « Heracleum avec usage de l’angélique », symbole de l’innocence dans le langage des fleurs. A son retour, Fritz garda pour lui son amertume de la présence autour des tables de l’Échappée Belle de la compagne de Simon Muller que les autres, par dérision, appelaient « Sarah bis ». Pauline, qui livrait les bouquets avec son beau-père, négligea un emploi de standardiste à l’hôtel Thiers pour celui de vendeuse au rayon des fleurs des Magasins Réunis. Comme à Paris, dans les hôtels réputés, les vases d’Émile Gallé, elle livrait à Nancy les plantes vertes ou compositions de circonstance dans les maison bourgeoises, plutôt moins accueillantes.

Comme souvent, Nancy profitait en septembre d’un début d’arrière-saison doux et serein. En cet été de la Saint-Michel, Sidonie demanda à Fritz :

– Dans quel état se trouve la pergola ?

– Dans le meilleur état possible, près des giroflées plus abondantes que jamais, bien ombragée sous les bambous. Tu es passée surveillant-chef ?

– Non je suis invitée.

– Tu veux savoir avec les belles dames comment planter un eucalyptus à petites feuilles ?

– Je viens d’adhérer à la section féminine de Nancy de la Ligue des droits de l’homme.

– Trésorier notre patron, président son ami Charles Keller…

– …qu’assiste, pour l’ensemble des droits, notre patronne Henriette Grimm.

Il ne s’agissait pas de savoir quand de petits feuillages arrondis annonceraient leurs meilleurs pompons, ronds comme des boules de neige. Ces dames parlaient, après de brefs exposés de l’une ou de l’autre, de viols et de massacres de femmes en Arménie, près du Mont Ararat où Noé sauva les espèces animales, des portes fermées aux étudiantes dans les facultés de droit ou de médecine, du sort des filles de campagne engagées comme domestiques dans des familles aux rideaux fermés. »

Michel Caffier,  Le jardinier aux fleurs de verre, éditions Presses de la cité, 2009.

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crédit photo : musée de l’Ecole de Nancy