Le piéton de Nancy

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Parc de la Pépinière, Place d’Alliance, Place Stanislas

« Comme elle a sa ceinture de places drainant la vie de ses artères, Nancy a son parterre de pelouses qui offre au promeneur un itinéraire reposant où règnent les oiseaux et où l’herbe est plus verte. Les princes, les premiers, ont aimé ces espaces de soleil ombragés par de grands arbres. Dans les plans de l’ensemble qui porte son nom, Stanislas demanda à ses architectes et paysagistes d’aménager l’exemplaire Pépinière qui, derrière les charmes de la fontaine d’Amphitrite, n’était pas qu’une roseraie et un parc de solides marronniers : dans un enclos on cultivait les légumes tout comme dans l’espace qui devint, plus tard, après le Traité avec l’Autriche négocié par Choiseul, la si agréable place d’Alliance, solitaire comme une perle cachée, où Maurice Barrès ressentait comme « une sorte de mélancolie janséniste ». Bien avant Stanislas, les ducs de Lorraine ont toujours été soucieux de la fraîcheur de leurs primeurs comme d’autres de celle de leur marée : on raconte qu’au temps de Léopold, la Cour eut tout le contraire d’un Vatel en la personne de Nicolas Bailly qui proposait à ses princes des petits pois le jour de l’An et des melons le jour de Pâques. Si pendant la dernière guerre on a cultivé des topinambours et des rutabagas dans ses pelouses devenues jardinets, la Pépinière, fleurie, taillée, bouturée, est un verdoyant lieu multiple, auberge espagnole des loisirs. Comme au marché, celui qui, avec le talent d’un Grandville ou des frères Voirin, voudrait croquer les silhouettes nancéiennes d’aujourd’hui aurait, dans les allées, entre les arbres, des modèles pittoresques et multiples : dresseurs de chiens de défense boudinés de carapaces de sacs, joueurs de cartes du troisième âge, amateurs de pétanque dont les jurons et les exclamations ont l’accent de Miramas ou de Bab El Oued, marchands de gaufres et de barbe à papa, athlètes ou joggers sur la piste d’un stade qui eut jadis d’élégantes tribunes de bois blanc, enfants, à pied, en skate, en poussette, au zoo, autour de biches, accrochés au volants des manèges, solitaires installés sur les chaises de fer pour lire, écouter la musique d’un walkman, rêver, autour du kiosque à musique ouvert comme une tulipe de Majorelle, observer, entre les roses, la lente marche des aiguilles de la pendule fleurie. Le spectacle n’est pas seulement dans le castelet du Guignol où Gnafron a inspiré l’idée d’une prometteuse biennale de la marionnette : il est dans le parc qui participe, comme la place Stanislas, sa voisine, aux fêtes du théâtre, de la musique, du folklore, des arts. Devenant scène de verdure ou musée de plein air, la Pépinière, la folie en moins, est un petit Central Park, un Hyde Park sans prédicateurs qui ne traverseraient pas les chevaux et les calèches. Elle est le jardin public de Nancy, imposant, dans l’ensemble ducal, sa souveraineté. »

Michel Caffier, Le piéton de Nancy, Editions Serpenoise, Presses universitaires de Nancy