Le Grand Hôtel de la Reine
Lieu évoqué : Grand Hôtel de la Reine, Place Stanislas, Nancy.
« Le restaurant où il l’emmène l’impressionne et déclenche un fou rire nerveux, Entre deux hoquets, elle articule :
– je savais même pas qu’on avait le droit de RENTRER dans ce bâtiment…- Si jamais ça te fatigue, on peut faire room service dans ma chambre …
– ça me fatigue que dalle. Ça me fait juste bizarre. J’ai l’impression de manger dans un musée. C’est plutôt marrant. Pas idéal, pour la digestion, mais marrant comme expérience…
Puis elle recommence à suffoquer de rire. Il n’y a rien qui soit normal dans cet endroit : ni les serveurs ni les lustres ni les sièges ni les serviettes ni les verres ni les plats ni les nappes… on croirait que tout est surligné, « raffiné », « délicat ». C’est tellement abusé que ça en devient étouffant. Elle retrouve son calme, se racle la gorge, nette sensation d’être une femme des bois perdue dans un palais lointain.
Trois serveurs se tiennent derrière leur table. Impossible de vider son verre d’une seule gorgée sans que l’un d’eux se précipite.
Elle se penche vers Eric, chuchote :
– Il vont rester derrière nous toute la soirée ?
Il hoche la tête et précise doctement :
– Ils ne nous écoutent pas. Entre nous, je crois qu’ils s’en foutent de ce qu’on se raconte.
Elle s’assoit comme Tony Montana dans Scarface, le dos bien calé contre le fauteuil, les cuisses bien écartées. Elle sourit : – J’ose même plus boire dans mon verre d’eau. Tu comprends ? Toi, t’as trop l’habitude. Y a de la bière ici ? «
Virginie Despentes, Bye Bye Blondie, Editions Grasset, 2004, p. 205.
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