Les amitiés française – Maurice Barrès
Bois Chenu Domrémy-la-Pucelle
Il est impossible de ne point souffrir de l’indiscrétion des dévots qui dépensent des millions en pierres de taille pour gâter ces pures solitudes. Dieu me garde de toute fadeur quand je décris l’atmosphère que Jeanne respira, mais ici le pèlerin sera toujours envahi par cet attendrissement du coeur qu’un Racine allait chercher aux prises de voile. C’est sur cette colline couronnée de vieux bois, semée de sources, tapissée de prairies et qui glisse jusqu’à la rivière, que Jeanne d’Arc, le plus souvent, près du hêtre vulnérable, entendit ses « conseils ». Il fallait nous permettre d’y errer en paix, sans que rien nous divertît des herbes, des fleurs, des arbres, des vallonnements dont les douces puissances se croisèrent avec les regards de la prédestinée. Sur cette vallée fut bâti le miracle de Jeanne. Qu’y voulez-vous ajoutez ?
Ce n’est point que la basilique, encore inachevée, soit laide, mais elle encombre une colline où tout ce qui peut sembler autochtone passe les plus précieux apports. Et puis on annonce d’autres bâtiments qui « couronneront la vallée et se développeront sur une façade de cent mètres dans un ensemble des plus majestueux ». Déjà, voici, à droite et à gauche, la maison des Pères eudistes, une hôtellerie pour les étrangers, un magasin d’objets de piété, un hangar pour abriter les pèlerinages. Au-dessous, plus près de la rivière, les Carmélites viennent de s’installer, et leur cloître, vraiment, est bien laid. Que l’Église – qui se plut toujours à renforcer sa gloire des prestiges de l’art – entende ma voix déférente ; il est temps, car les brochures dévotes président que « bientôt cette hauteur ressemblera à la colline de Fourvière, isle sonnante où retentissent sans trêve les cloches de vingt maisons religieuses ». O véritable sacrilège d’avoir rompu le silence de Jeanne!
Maurice Barrès, Romans et voyages, Paris, Éditions Robert Laffont, 1994, pp. 160-161
Bibliographie : Maurice Barrès (1862-1923) dans les Amitiés françaises raconte les excursions qu’il a entrepri en France avec son fils Philippe. Ce pèlerinage, notamment à Sion-Vaudémont, la « colline inspirée », et à Domrémy, la patrie de Jeanne d’Arc, a pour but de forger dans l’esprit de son fils un préjugé en faveur de son pays et un sentiment nationaliste.