Le Royal

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Bar le Royal, Nancy.

– On se voit ce soir ? Je termine autour de vingt-deux heures, on peut…

­- Moi, c’est pas compliqué : je suis au Royal. Que ça soit ce soir, demain, avant-hier ou après-demain, je suis au Royal. C’est mon bar.

­- T’as l’adresse ?

­- Oh, tu commences à être super trempé, tu sais, fait remarquer Gloria, amusée, en le regardant sortir un organisateur électronique d’une des poches du costume impeccable qu’il porte sous son imper. Il acquiesce :

­- C’est des choses qui arrivent, quand il pleut. On aurait pu se dire tout ça dans la voiture, mais, tu vois, je ne t’ai pas oubliée : si tu veux qu’on discute sous la pluie, j’entame aucune négociation.

­- Tu peux ranger ton bazar électronique, pauvre Parisien égaré, et le bâton de sucette qui va avec… Le Royal, c’est guère compliqué : c’est rue Mon Désert, côté gare. Tu demandes à n’importe qui. Ça fait vingt ans que c’est ouvert, tout le monde connaît ce bar.

­- Ce soir, alors ?

­- Je t’ai dit : moi, j’y serai.

Il hésite, avant de s’éloigner, il cherche un geste et, finalement, se hasarde à lui serrer le bras, vite fait, et un peu fort. Puis il court jusqu’à sa voiture et remonte à l’arrière, le véhicule démarre. Gloria reprend sa route, en se traitant de tous les noms.

« Mais pourquoi tu ne lui as pas mis un mémorable coup de boule, à ce plouc ? Ça fait plus de vingt ans que j’attends ce moment et tout ce que tu trouves à lui dire, c’est que le royal c’est un chouette bar ? »

Bar le Royal, quasiment vide dans la journée. Grande salle, haute de plafond, sculptures coloriées, toiles d’un pote accrochées aux murs. L’endroit n’est pas conçu pour la lumière du jour, ce qui est fabuleux le soir est un peu miteux la journée. Pousser la porte du bar est déjà rassurant, en soi. Malgré l’odeur de tabac froid mêlé au produit nettoyant.

­- Ooooh, l’ancienne ! t’es dans un de tes grands jours ?

Jérémy, derrière son bar, éclate de rire en la voyant. Elle voudrait rester énervée, sur sa lancée, mais ça se délite. Elle sourit, s’accoude au comptoir :

­- Tu me fais crédit ? jusqu’à mardi ?

­- J’aimerais te répondre non, mais je vois bien que tu casserais mon bar. Jack ?

­- Je te remercie, je te remercie, je te remercie… chantonne-t-elle en faisant pivoter son crâne autour de la nuque, pour faire craquer les cervicales.

Virginie Despentes, Bye Bye Blondie, Grasset, 2004, pp.17-19.

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