« La Place a le charme de certains visages »

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Place Stanislas, Nancy.

« Des pierres blondes, avec parfois des reflets mauves ; et sous les corniches, dans le cadre des portes et des multiples fenêtres, le long des colonnes : des ombres tapies, des zones foncées et veloutées comme des cernes. La Place a le charme de certains visages, et c’est ce mélange de beauté humaine et d’infrangibilité qui attache l’âme.
L’enveloppement surtout est parfait, pas d’architectures asymétriques, brouillonnes, qui déportent la vue et perturbent l’équilibre du contemplateur. Les ondulations de guillochis, le tumulte des ferronneries qui festonnent les grilles sont ordonnés suivant des lignes justes ; mais surtout : l’absence des toits si raplatis qu’ils échappent à la vue…
Rectilignes, dégagées, les architraves règnent sur l’azur. Quand on est au cœur de la Place, on se sent au cœur d’une baie rectangulaire dont les rivages suspendus se découpent sans bavure ; ou bien encore, dans l’embouchure anguleuse d’un volcan, un cratère dont les bords de basalte pur sont exquisément tracés. Il n’en finit pas de fixer cette ligne dépouillée, franche, l’enserrant de tous côtés, ajustée au bleu ciel d’un contact absolu, comme si la coupole d’azur venait s’appuyer sur toutes les margelles de l’enceinte où il loge, chapiteau bleu soudé aux murailles de granit ; et puis… des crépuscules assombrissent plus singulièrement des cernes, les creusent dans l’encoignure des portes, des fenêtres, des sillons guillochés, la pierre gonflant, brune… brune entre ces artères d’ombre. »

Patrick Grainville, La lisière, 1973, éditions Gallimard, p.42.

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