« Tous les deux observaient quelque chose au milieu d’un champ »
Lieu évoqué : Bouvron.
« Il remonta la fermeture de son blouson. Gaston l’imita. Tous les deux observaient quelque chose au milieu d’un champ.
– Il date de quand ?
– Première Guerre.
– T’étais déjà venu ici avant ?
– Ouais. Avec ton papi.
Ils franchirent la distance qui séparait l’ouvrage de la route, Gaston tenant le chiot en laisse. A deux cent-vingt mètres d’altitude, l’abri dépourvu de son remblai de terre offrait une belle prise au vent. La façade arrière, très endommagée, présentait d’importants impacts de tirs. Le reste de l’abri fortifié était encore en bon état. Gravats et branches mortes recouvraient le sol du couloir intérieur menant aux chambrées. Incrustés dans les murs, les montants métalliques sur lesquels se trouvaient jadis les couchettes en bois rouillaient avec insistance. Par un savant calcul, Gaston décréta que la capacité totale des chambrées était de quatre-vingt-une personnes couchées et vingt-sept assises. Cet endroit parut à Pierre plus lugubre que dans ses souvenirs d’enfant. Jadis, il jouait à la guerre buissonnière. Mais il ne s’agissait que d’un endroit déserté et sordide pareil à ceux où le vieux Dave l’obligeait à le suivre pour entasser les cadavres. […]
Ils s’arrêtèrent devant d’anciennes latrines. Un obus, encore fiché dans l’épaisseur du mur, avait creusé la pierre formant un trou de quarante centimètres. Le fait qu’il n’ait jamais explosé impressionna le fiston. »
Sophie Loubière, White coffee, Fleuve éditions, 2016, p. 490.
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