Un contrat d’édition
Lieu évoqué : Grand Hôtel de la reine, Place Stanislas.
« Sur le canapé, un responsable marketing d’une trentaine d’années vêtu d’un costume et d’une chemise à rayures violettes contrariait l’ovale de sa figure d’un sourire froid. Sur le siège à droite de Lola, une jeune femme au visage avenant prenait des notes tout en hochant la tête. L’éditrice poussa vers Lola l’assiette d’amuse-bouches accompagnant le thé servi dans des tasses en faïence de Longwy.
– Servez-vous. Ils sont délicieux.
Assise jambes croisées dans un fauteuil de style Louis XV, Lola refusa poliment. La dernière fois qu’elle avait mis les pieds ici, c’était pour assister au repas de noces d’un couple d’amis. Les plats servis et le climat festif que deux animateurs entretenaient en passant des musiques dansantes lui laissaient encore dans la bouche un arrière-goût de meringue rance. Seule parmi des dizaines de couples célébrant les joies de l’union sacrée, cantonnée à une table de célibataires dépressifs ou lourdauds, elle avait conservé le souvenir d’un sentiment de marginalisation. Et en cet instant, Lola ne se sentait pas plus à l’aise.
– Nous sommes vraiment touchés que vous ayez accepté de nous confier votre histoire, madame Lombard. Il fut assez vite question de borner les choses. Quelles limites allait-elle donner à son récit ?
– Vous avez toute liberté de raconter certains événements ou de les taire.
Quelle part intime de sa vie l’obligerait-on à livrer ?
– Aucune. En revanche, si nous pensons que des passages peuvent, à terme, constituer une gêne pour vous ou votre famille, nous serons les premiers à vous suggérer de les retirer.
Lola savait que, pour atteindre cet état de grâce financière à laquelle elle aspirait, cette liberté d’esprit et de mouvement, publier ce récit serait le plus vaillant raccourci à prendre.
– Rassurez-vous. Nous vous accompagnerons tout au long de ce projet.
Rien ne manquait à la panoplie. En cas de besoin, on se proposait de mettre à sa disposition une personne pour l’aider à travailler à la structure de l’ouvrage et à sa rédaction, une sorte de porte-plume – ou de nègre.
– J’enseigne l’expression écrite dans un centre de formation pour adultes, indiqua Lola. Je devrais m’en sortir.
La directrice éditoriale en fut comblée.
-Parfait. Le tout serait que vous nous fassiez parvenir le manuscrit dans un délai raisonnable pour que nous puissions le travailler bien en amont de sa parution.
Les grandes lignes du projet de contrat d’édition pouvaient être adressées rapidement par mail. »
Sophie Loubière, White Coffee, fleuve noir éditions, 2016, pp. 236-238.
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