Le Café de l’Excelsior
Lieu évoqué : Place de la Gare, Nancy.
Crédit photo : Bibliothèques de Nancy, P-FG-CP-01431-09
« Nous terminions notre périple sous les arbres taillés qui bordaient la place de la République. Au centre de celle-ci, la statue verdâtre d’un homme en redingote accueillait les merdes de pigeons avec sérénité de bronze. Grand-père m’expliqua un jour qu’il s’agissait de Monsieur Thiers, un des plus fabuleux bouchers du siècle précédent, et que sa statue n’était pas là pour honorer sa mémoire, mais pour que les oiseaux de leurs fientes vengent toutes les créatures qu’il avait jadis assassinées.
La forme de la Grande ville a changé aussi vite que mon cœur de mortel : on a coupé les arbres, lissé la place, déboulonné la statue. Sans doute dort-elle dans quelque hangar municipal, entre trois poilus de fonte hors d’usage, deux lampadaires rouillés et les vestiges d’antiques vespasiennes. Les pigeons ont trouvé d’autres lieux d’aisance que le crâne de Thiers, et les cadavres fantômes des derniers Communards ont fini par dévorer l’ombre du petit homme. »
Philippe Claudel, Le Café de l’Excelsior, La Dragonne, 1999. pp.71-72