Fête foraine

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Place Carnot, Cours Léopold

 « L’histoire, avec cette fille, a débuté à la fête foraine de Nancy, sur la place Carnot, et le cours Léopold, l’une étant le prolongement naturel de l’autre qui tranche, dans les pâtés de maisons de la ville, une grande ouverture béante, avec arbres, pelouses et monuments. Sans oublier encore une fois les oiseaux qui vont avec, les merdes de chiens et les bagnoles qui, à l’époque que j’évoque présentement, étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui. N’empêche qu’elles puaient déjà de manière insupportable, sans parler du bruit. C’est vous dire ce que c’est devenu aujourd’hui !

Mais je ne sais pas si je peux, comme ça, prendre la fantaisie de dater, c’est-à-dire de désigner un jour et un moment précis comme l’origine exacte d’un récit. Comment marquer le début d’une intrigue ? Quel culot de dire : C’est ainsi que tout a commencé ce jour-là, à tel endroit, à telle heure précise ! D’ailleurs, y a-t-il des débuts à tout ? N’empêche que ma vie a débuté censément à ma naissance mais l’on pourrait remonter plus loin, à la fantaisie par exemple qu’eut cet ancien aïeul d’émigrer depuis sa Pologne natale pour venir en France y exercer le métier de couvreur et séduire et engrosse la Mathilde qui allait finir bien des générations plus tard à devenir mon arrière arrière-grand-mère.

Cependant, si l’on est maniaque de précisions d’origine ou de date, j’oserai vous satisfaire en vous proposant comme point de départ ce mardi d’avril vers 14 heures à la fête foraine de Nancy, cours Léopold pour être précis. Il devait être environ quatre heures de l’après-midi et le temps était assez beau malgré le petit orage qui avait laissé tomber quelques gouttes sur la ville en fin de matinée.

Je me rendis ce jour-là à la fête foraine dans l’espoir de m’y amuser et, pourquoi pas, de m’y faire remarquer par une de ces jeunes et jolies gamines qui portaient des jupes chalet et qui faisaient mousser leurs chevelures en se crêpant les cheveux, ce qui donnait parfois des hauteurs choucroutesques et vertigineuses à leurs coiffures. On a les ambitions qu’on peut. A ce moment précis, il n’était pas encore question de coup de boule. En effet, celui-ci ne lui sera donné que plus tard, à l’issue justement de l’épisode que je vais présentement vous narrer, dès lors que le cadre est fixé ainsi que les essentielles circonstances.

Il faisait beau, donc, et la maigre poussière que soulevaient les badauds sur le Cours Léopold était de la couleur habituelle en temps de paix, jaunâtre, avec une vague odeur de gaufres écrasées et de chantilly. Les filles avaient les yeux qui pétillent, les arbres avaient des feuilles invisibles et les haut-parleurs qui vibraient dans les stands vous faisaient vibrer les intérieurs, les boyaux et les zygomatiques. »

Jean-Claude Baudroux, La tentation du rasoir, Éditions du Bastberg, 2006.

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