Opéra café

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqué : Opéra Café, Parc de la Pépinière

« Opéra café, Nancy. À ma droite, la foule se presse sur le chemin du Parc. Les uns s’y rendent, les autres en reviennent. On se croise sans règles de circulation, on joue parfois des coudes, on se perd, on se retrouve, parfois on se salue ou on se dévisage, les hommes se retournent sur les filles, les jambes fines, les poitrines fermes, les derrières rebondis, les lèvres en cœur. Moi, j’ai toujours détesté les regards déplacés des mâles, surtout ceux des vieux moches quand ils se posent sur ma personne et en particulier sur les deux petits obus qui ballottent, libres de toute contrainte, à ma poitrine. J’ai l’impression qu’ils me déshabillent avec leurs yeux lubriques […]

Sur le chemin, il y a des jeunes, des anciens, des couples enlacés, des âmes solitaires, des ancêtres ratatinés plus tout à fait vivants, baladés dans leur fauteuil par d’autres plus valides. Et toujours les éternels inconscients sur leurs trottinettes qui slaloment dangereusement entre les gens. Je connais ça, à Lyon, il y en a un l’an dernier qui m’a percutée sur un trottoir, il ne s’est même pas arrêté, il a fui comme un voleur, le sale gosse, et j’ai passé une matinée entière aux urgences à hurler avec mon épaule luxée. Décidément, les hommes, ce n’est pas mon truc. Il y a des vélos aussi, plus prudents, eux. Puis des enfants, des familles, des poussettes, et ça bavarde, et ça piaille, et ça crie, et ça braille, et ça réclame, et ça pleure, et ça rit. Par là-dessus, des chiens en laisse qui se reniflent mutuellement le derrière ou qui reniflent les pompes des gens qui ont marché dans une crotte. Les laisses s’emmêlent, les propriétaires s’en mêlent, ils rient ou s’engueulent, ça dépend du degré de courtoisie ou de beaufitude. Des chiens grands, des petits, des nains, des noirs, des blancs, des bruns, certains mignons, mais la plupart très laids, la mode est depuis quelque temps aux clébards moches, aux pelés, aux ridés, aux saucisses à pattes, aux museaux aplatis et aux babines dégoulinantes de bave. »

Pierre Boxberger, Nancy par hasard, Éditions L’Harmattan, 2023

Catégories : Pierre Boxberger