Mozart au parc

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Parc de la Pépinière

« Il riait et m’entraînait alors à la Pépinière voulue par Stanislas – encore lui -, m’expliquant les plantes, la composition florale de l’horloge et déplorant, comme Jeanne, ma mère, l’enfermement des animaux et la triste vie de Jojo qui attirait les badauds toujours en quête de sensations. Certains prenaient un malin plaisir à exciter ce pauvre grand singe, don de la ville de Karlsruhe à Nancy pour sceller le jumelage des deux villes peu après la guerre. Les colères de Jojo faisaient rire. Pas moi, pas nous. Ce spectacle me levait le cœur.
Est-ce un dimanche plus ensoleillé que d’autres où pointait une senteur d’orage que mon amoureux me conduisit par une allée détournée jusqu’à un petit kiosque où, miracle, un orchestre de chambre jouait Mozart ? Il fallait, disait le jeune homme, fermer les yeux pour que la musique entre dans le corps jusqu’au tressaillement. Dieu, que cette phrase avait de l’allure ! J’en aimais le choix des mots, j’ eusse voulu l’avoir trouvée.

Surtout ne pas l’oublier ! L’imprimer, la faire pénétrer par tous les pores de la peau. Comme la musique. Se laisser enfanter par les notes autant que par les mots.
– La beauté s’éprouve avec sensualité, sans retenue, jusqu’au vertige, ajoutait-il encore.
J’ai su, ce jour-là, que je n’écouterais plus jamais Mozart de la même manière. Mozart serait l’enchanteur de ce jardin. J’étais bien en ces lieux que je voyais autrement qu’avec les yeux de Jeanne. Mais je devais admettre que ce parc était une idée de Stanislas. L’amoureux le répétait en riant, s’amusant gentiment de ma consternation.
– Stanislas a peut-être trouvé des plans de Léopold et il les aura repris à son compte…, hasardais-je.
– Comment peut-on être d’aussi mauvaise foi ? taquinait l’amoureux.
J’ai souvent essayé d’imaginer les lieux au temps de Stanislas, Quelles plantes s’y épanouissaient? Qui le fréquentait ? Ce parc qui fut ouvert au public avait pour vocation essentielle de veiller au renouvellement des arbres, des plantations de la ville. Mais il ne faut pas sous-estimer les modes du XVIII siècle, qui raffolait d’exotisme. Les grands voyageurs, navigateurs se devaient de revenir de leurs longs périples avec des boutures, des semences qu’on acclimaterait. D’où ce nom de Pépinière pour cet espace de verdure qui comportait un vaste enclos, le manège des pages permettant à des jeunes gens d’apprendre à monter à cheval.
Pourquoi ne l’a-t-on pas gardé ? Au XIXe siècle, on envisagea de prolonger la Pépinière jusqu’à la Meurthe. On creuserait un canal jusqu’à cette charmante rivière, disait-on. L’idée était bonne mais est tombée dans les oubliettes. Dommage.
C’est un peu de beauté qui n’a pas eu l’occasion d’éclore. »

 Elise Fischer, Le roman de la Place Stanislas, Editions Place Stanislas, 2007.

Iconographie : Limédia galeries

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