Un faune et un parc
Lieu évoqué : Parc Sainte-Marie
Ce qui m’advint au Parc Sainte Marie
« Ému par le décret de nos Municipaux,
Un vieux faune, éveillé de son divin repos,
M’accosta sous un pin. Il geignit : « C’est étrange
Je rêvais dans ce parc où nul ne me dérange,
Car j’aime les enfants et plais aux amoureux…
Or, voici que trouvant les massifs trop ombreux,
Ces messieurs ont voté des sommes écrasantes
Afin que l’on déboise et mette à nu les sentes
Et livre au bon public selon les goûts anglais
Un jardin très correct aux arbres maigrelets
Ni coins d’ombre où buissonne un sentier solitaire. »
Et le faune attristé m’exposa sans mystère
Les craintes du Conseil : « On redoute en ce parc
qu’Éros, fils de Vénus, s’exerce au tir à l’arc
Et blessant la Pudeur, malgré le garde, y fasse
Quelque exploit scandaleux à s’en voiler la face…
Songez s’il s’avisait de métamorphoser
En chèvre-pieds lascifs à la chasse au Baiser
De pâmes promeneurs qui, soudain, sur un signe,
Réduiraient leur complet à la feuille de vigne !..
Songez, si le dieu Mars, moderne Tourlourou
Y jambait en plein air Hébé mise en nounou,
Et si des dieux bâtards, nés de ces indécences,
Troublaient l’état civil au bureau des naissances !… »
Le vieux faune un instant s’apaisa puis reprit :
« Le Conseil est hanté par un mauvais esprit ;
Ce n’est point le grand Pan qui l’inspire… Oh ! Non, certes.
S’il écoutait sa voix parmi les feuilles vertes
Au lieu de décréter qu’on déboise il ferait
Vibrer dans ses discours l’âme de la forêt… »
Et sur ces derniers mots, sans ouïr mes réponses,
Le vieux faune attristé s’enfonça dans les ronces. »
Léon Tonnelier, La vie lorraine illustrée, juillet août 1905