Terre maternelle
Lieux évoqués : Champigneulles, Bouxières-au-Chênes, Nancy et la Lorraine.
« Enfant, mon regard errait aux alentours de la brasserie à Champigneulles, butait sur la colline de Bouxières-aux-Dames et vagabondait dans les prés bordant la Meurthe. Jeune fille, Nancy s’offrait à moi avec trop de naturel pour que l’émerveillement trouvât son plein épanouissement. Je disais oui à l’Opéra, aux concerts et conférences à Poirel, au musée des Beaux-Arts, gardien de la beauté et rempart à la barbarie, mais du bout des lèvres, sans réelles extases. Une simple promenade, un jeu de miroirs et de lumières pouvaient me transporter jusqu’à Lunéville, sur les hauteurs de Sion et me faire rêver face à la ligne bleue des Vosges. Au-delà, j’imaginais déjà l’Alsace. Un rêve. L’impossible terre maternelle, généreuse et tendre aux souvenirs de ma mère.
Au fond, pour être honnête, jusqu’à l’âge de vingt ans, je n’ai rien vu, rien su du vaste monde. Mes chagrins étaient lorrains, enracinés dans cette terre âpre et rugueuse. Embrumée dès que la Toussaint se pointait. Gelée et craquante quand soufflait le vent de l’Est avec l’arrivée de la Saint-Nicolas. Chaude et implacable au plus fort de l’été.
J’eus vingt ans et le mariage allait m’emporter loin de cette terre. Le promis avait lui aussi ses raisons de prendre ses distances. Ce ne serait pas un adieu. Seulement un éloignement des rives de la Meurthe et de la Moselle. Vérifier qu’ailleurs l’herbe est plus verte ; que les arbres ont d’autres ramures ; qu’ils exhalent des senteurs enivrantes et que les chants des oiseaux envoûtent, ensorcellent.
Plus la date approchait, plus mes joies et mes craintes s’épousaient dans le tumulte des sentiments. »
Élise Fischer, Paroles d’auteurs, La Lorraine. Editions Serge Domini, 2007, p.135.
Crédit photo : Dadu Jones