Un ensemble musical
Lieu évoqué : Nancy.
« On m’a fait remarquer que l’établissement est d’un ennui mortel. Le bâtiment est beau, les boiseries Majorelle, les vitres Grüber leur plaisent, mais l’atmosphère est grise, ont-ils dit. Ils n’avaient pas trouvé le mot, « triste ». Enfin, je suppose. J’ai répliqué : « Je sais, Herr, ça sent la défaite, je n’y suis pour rien. » Il s’est raclé la gorge et a poursuivi. Pour remédier à cette atmosphère, j’étais priée de trouver rapidement un orchestre, du moins un ensemble musical comme au Palais de la Bière ou à la brasserie Walter, avec si possible une chanteuse ou un chanteur ou les deux. Ces messieurs adorent la musique. D’ici à ce qu’il faille ouvrir une piste de danse, comme au Palais de la Bière… Et j’ai ajouté pour l’officier allemand qui rigolait : « Pourquoi pas des salons particuliers, tant qu’on y est ? Voulez-vous que nous créions des box avec des petits canapés rouges très moelleux, comme à Paris ? On réserve, on tire les rideaux et c’est une escapade au paradis ou au septième ciel. Nos lieux de convivialité doivent-ils devenir des bordels pour vos officiers ? Devrais-je accrocher la lanterne rouge comme dans la Grand-Rue ? »
– Sois prudente, calme tes ardeurs, ma chère Jeannette !
– L’interprète était un client et j’ai constaté qu’il n’avait pas tout traduit. J’ai vu aussi, au regard amusé de l’officier, qu’il avait compris quelques allusions. D’ailleurs, il avait l’œil rieur et a fini la conversation en français. Mais moi, j’ai été soulagée de l’avoir dit et surtout je voulais montrer à ces vert-de-gris que je ne les craignais pas. Je vois bien la trouille qui agite la plupart d’entre nous.
Philippe a éclaté de rire. »
Élise Fischer, Le jardin de Pétronille, Calmann Levy, 2016, p. 29.