Confidences
Lieux évoqués : Lay-Saint-Christophe, Nancy.
« – Oh, c’est tout simple, cousine. Iseult refuse l’attachement. Elle ne veut vivre que le présent et dès que le jeune homme ou l’homme veut faire un pas de plus, engager une relation qui va déboucher sur la vie commune et le mariage, elle jette. C’est elle qui le dit. Elle agit au nom de la Liberté, qu’elle dit écrire avec un L majuscule. Sauf qu’avec le temps, elle aura de plus en plus de mal à trouver quelqu’un… Là où elle vit, à Lay-Saint-Christophe, au domaine de La Haute Lay, aux portes de Nancy, elle est connue, et à part des aventures d’un soir, qui doivent laisser un goût amer, elle se vautre dans une solitude qu’elle dit chérir. Je n’en crois pas un mot…
– Il n’est pas trop tard pour changer d’avis. Elle n’est pas si âgée. Á peine trente ans.
– Je suis sûre qu’elle te donne peu de nouvelles.
– Ça va. Aux fêtes de fin d’année, mais aujourd’hui, c’est ainsi. La jeunesse n’a que faire des grands principes d’autrefois. Ce n’est pas très grave.
– Comme tu dis les choses, cousine Milou. Mais pour Iseult, les mois passent, les années aussi et nous, les nanas, avons une horloge biologique pour faire des enfants.
– Très juste, ma chérie. Peut-être n’a-t-elle pas du tout envie de faire des bébés. Ce n’est pas une obligation.
– Elle commence cependant à ressentir le vide… Enfin, je lui souhaite, c’est ma petite, toute petite vengeance. Plus jeune, elle m’a bien enquiquinée. Une deuxième mère, il fallait lui obéir. C’étaient les ordres du général, surtout quand maman était partie pour ses spectacles. Sinon, pour la fuir, je demandais qu’on me mette dans le train pour Nancy et tu me cueillais sur le quai de la gare.
– Tu as souffert de cela ?
– Avec le temps, on s’habitue. On se fait à tout. Mais chez toi, j’étais bien. Puis j’ai trouvé le moyen de lui échapper en entrant à Saint-Cyr. Je ne la voyais plus. Et c’est à partir de cette époque que nous sommes devenues un peu copines, si on peut dire.
– Et comment elle est dans la vie ?
– Elle avait des amies. Mais au fil du temps, les voici casées, ou sur le point de l’être. Certaines pourraient voir en Iseult une rivale. Ma sœur veut le meilleur pour de courtes durées… Briser des cœurs, elle sait, c’est dommage. Nous n’avons pas été élevées ainsi. Elle a toujours désespéré maman. Papa en souriait et disait qu’elle avait raison de prendre du bon temps. Mais je suis sotte de m’inquiéter, qu’elle se débrouille, c’est son problème.
Il faut changer de sujet, ne pas la laisser dans la rancœur, voire l’aigreur ou la tristesse qui risque de s’installer, je pressens cela. Osons le terrain amoureux entre son homme et elle. »
Elise Fischer, Marionnettes d’amour, Calmann Lévy Territoires, 2020 p.68.