Conflits
Lieux évoqués : Charmes, Ubexy, Nancy
« Novembre 1888
Le vent soufflait sur Charmes avec une violence telle que les volets de l’entrepôt des tanneries situé au nord-est s’étaient mis à claquer. Agacé, Gustave s’énervait et jurait contre le ciel qui s’obstinait à envoyer du mauvais temps.
– C’est la saison, dit calmement Mathilde. Si tu veux, demain, nous demanderons au menuisier d’Ubexy de venir réparer ce qui est réparable. Mais ce n’est pas bon pour toi de te mettre dans un tel état. Cesse de boire, Gustave. Tu sais ce que t’a dit le médecin : tu fatigues ton foie et ton cœur.
– Rien à foutre ! Hurla Gustave en saisissant la carafe de vin posée sur le guéridon à alcool près de la fenêtre de la salle à manger. Rien à foutre, je bois quand bon me semble ! reprit-il, l’air menaçant.
Malgré les mises en garde de Mathilde, il se resservit un autre verre.
– Cette fois, c’en est trop. J’appelle mes parents et je te quitte. Tu te débrouilleras tout seul avec tes comptes.
Quand elle parlait ainsi, Gustave se taisait. Il craignait Mathilde, mais plus encore le père de Mathilde, qui lui faisait régulièrement la morale. Il avait besoin de son argent. Parfois, Germaine s’en mêlait, donnant ouvertement tort à Gustave : « C’est le même que son père. Le goût des femmes et du vin… »
– Je crois que je vais aller passer une partie de l’été à Nancy et l’autre en Alsace. Naturellement, j’emmènerai Matthieu.
– C’est cela, tu iras lui montrer les verreries de Nancy…
– Et bien d’autres choses encore, les ateliers de peinture, le travail du fer et du bois. Je le conduirai aussi à Strasbourg.
– Oh ! Mathilde, ne me provoque pas…
Matthieu était sorti dans le jardin et remontait l’allée jusqu’à la route menant aux berges de la Moselle. Le jeune apprenti aux livraisons le surveillait, comme le lui avait recommandé Germaine. Les jours de marché, Matthieu assistait au défilé des attelages qui tiraient des charrettes de victuailles et de marchandises diverses. L’attelage qu’il préférait entre tous était celui de la laiterie Jacquot. Les deux chevaux étaient magnifiquement brossés et leur queue tressée. La carriole portait sur les côtés des clochettes qui sonnaient à chaque tour de roue pour avertir les clients de son passage. Et puis il y avait la jeune Lucie à la chevelure un peu rousse dans le soleil. Les habitants trouvaient que ses parents l’avaient placée un peu tôt à la laiterie. Elle paraissait si frêle…On murmurait aussi que le vieux Jacquot ne tarderait pas à la dépuceler. »
Elise Fischer, Les alliances de Cristal, Terres de France, 2006, p 34.