Solitude rue des Maréchaux
Lieu évoqué : rue des Maréchaux, Nancy.
« Plus les jours passent, plus Sophie se renferme et s’aigrit. Sa solitude, rue des Maréchaux, lui pèse. Si elle se sent plus en confiance avec les autres belles-sœurs, Anne, Julie ou Victoire qu’avec Goton, la causerie, avec ces trois simplettes, ne dépasse guère le sujet de la couleur d’un jupon ou de l’herbe d’un ragoût. Quant à la conversation avec Abel, elle se limite, pour l’instant, à un échange de tendres borborygmes.
Les nouvelles qu’elle reçoit de Léopold ne sont pas très exaltantes. Il s’est pris de querelle, une fois de plus, avec un certain Cathol et, une fois de plus, il se croit persécuté. Découragé, il se demande même s’il ne devrait pas quitter l’armée. Il a écrit à La Horie qui se trouve à Milan pour essayer d’être envoyé auprès de lui et de Moreau. Il a fait la même requête, à Paris, au ministre. Mais ni l’un ni l’autre ne lui ont répondu.
Les lettres de Léopold parviennent à Sophie sous la souscription : Citoyenne Hugo, la jeune, chez sa mère, 81 rue des Maréchaux, Ville vieille, Nancy. Elle monte les lire dans sa chambre, frustrant ainsi à plaisir la curiosité des femelles Hugo, qui auraient aimé, c’est sûr, quelle en fît la lecture à voix haute. Mais Sophie se contente de répondre laconiquement à leurs questions, au sujet de Léopold.
De temps à autre, elle s’oblige, elle qui a horreur d’écrire, à répondre à son mari. De courtes lettres qu’elle adresse « à Worms, armée du Danube ». Elle lui raconte qu’Abel, à présent, dit nettement papa et maman. Elle lui dit aussi son ennui de vivre à Nancy et qu’elle a hâte de le voir revenir près d’elle. Elle est sincère car elle préfère encore la compagnie de Léopold à celle de sa famille.
En août, enfin, Léopold débarque à Nancy, avec son bataillon. Détaché à nouveau de son corps, il s’installe rue des Maréchaux où il constate avec tristesse la mésentente qui règne entre sa femme et celles de sa famille. Évidemment, chacune le prend à témoin, essaie de le mettre dans son camp, mais Léopold qui, comme beaucoup d’hommes, est plus courageux face à l’ennemi qu’au milieu de femmes en colère, se défile comme il peut, essayant de donner raison à tout le monde sans donner tort à personne. Ce qui exaspère Sophie qui le traite de couard.
Pour calmer sa petite femme adorée, Léopold l’emmène en promenade dans la campagne, autour de Nancy. Mais, devant le plus joli paysage, Sophie, avec une mauvaise foi qui n’appartient qu’à elle, fait la grimace et compare tout ce qu’elle voit avec sa Bretagne bien-aimée. Au bénéfice de celle-ci, évidemment. À l’entendre, la plus belle forêt vosgienne n’est rien à côté de ses bois de Juigné ou de Vioreau et cette Meuse rapide et tortueuse que Léopold veut lui faire admirer a moins de charme, pour elle, que la Chère marécageuse et dormante qui baigne les remparts de Châteaubriant. »
Geneviève Dormann, Le roman de Sophie Trébuchet, Livre de poche, 2015, pp. 152-153.
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