Une brasserie en centre ville
Lieux évoqués : rue Raugraff, Place de la Carrière, rue Saint Jean, église Saint-Sébastien, Nancy.
Nancy, début juillet 1940
« Je m’appelle Jeannette Mangenot et je suis gérante de la brasserie La Lorraine au coin de la rue Saint-Jean et de la rue Raugraff. Si on m’avait dit, il y a dix ans, quand j’ai ouvert mon salon de thé à deux pas de la place de la Carrière, que je gérerais cette vaste brasserie installée dans un bâtiment construit dans le style École de Nancy, je ne l’aurais pas cru. J’ai tout de même gardé mon salon de thé, le lieu où je puis m’adonner à ce que je préfère, la confection de quelques gâteaux et biscuits pour lesquels il faut le tour de main. Ah, ce tour de main !
Il me fut légué en héritage et en partage par Pétronille qui nous a en partie élevés, ma sœur et mes frères. Bien sûr, il y a eu Justine… Mais sans Pétronille, cela aurait été difficile pour Justine, qui était bien jeune. Pétronille avait l’expérience. Bien qu’elle n’ait jamais eu d’enfants. Mais on n’a pas besoin d’en mettre au monde pour s’y connaître en éducation. C’est bien elle qui a élevé les enfants de son patron, le grand pharmacien, les siens et ceux qu’il a recueillis, dont moi.
Philippe, le grand pharmacien, je l’ai toujours appelé ainsi. Il le sait. Il en sourit et ne m’en tient pas rigueur.
Je lui donne parfois un peu moqueusement du monsieur le grand pharmacien… Et il éclate de rire après m’avoir menacée de l’index. Donc, j’ai gardé mon salon de thé baptisé Le jardin de Pétronille, parce qu’il s’ouvre sur le jardin du palais du Gouvernement, près de la place de la Carrière, et que Pétronille était un vrai chef de gouvernement au sein de la famille Delaumont.
La terrasse du salon de thé est ombragée de tilleuls centenaires où, grâce à Philippe qui a des relations en ville, j’ai obtenu l’autorisation d’installer des tables et des chaises aux beaux jours. Le public adore ce jardin que j’appelle Pause Pétronille. Pour moi, c’est un hommage, un coup de chapeau à celle à qui je dois beaucoup. J’espère que, d’où elle est, elle en est heureuse et continuera de me guider comme elle l’a fait pendant si longtemps.
La Lorraine, mon palais, dit le grand pharmacien qui m’aurait bien vue travailler au Palais de la bière, se situe dans la rue Saint-Jean, du même côté que la cathédrale. De la rue Raugraff, on rejoint aisément la place du Marché et l’église Saint-Sébastien. Une belle situation. J’apprécie. Il n’empêche, Philippe me taquine souvent :
– Quand même, le Palais de la bière, avec la magistrale statue du dieu Bacchus entourée de très jolies femmes pour veiller sur toi et sur ta clientèle, ça aurait eu du chien, ma Jeannette !
Je ris et lui dis que La Lorraine et Le Jardin de Pétronille suffisent mon bonheur. »
Élise Fischer, Le jardin de Pétronille, Calmann Levy, 2016, pp. 19-20.