« Je suis l’œil derrière la caméra »

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Rue Saint-Basle, Dombasle-sur-Meurthe.

« Cela commence dans un été lointain. Dans la lente et infinie saison de l’enfance. Plus précisément dans la chaleur blanche d’un mois d’août qui terrasse la petite ville, la vide de toute trace humaine, l’ouvre au vent brûlant venu de l’Est, à son haleine de chaume sèche et à sa musique de mouches avec lesquelles il frôle les façades aux persiennes closes. Il y a encore en ce temps des fontaines çà et là, qui laissent s’écouler de leur bec de fonte un avare ruissellement argenté, froid, et qui chute dans un murmure de piécettes. Au ciel, rien que du bleu pâle. Aucun oiseau pour strier de griffures sombres. Et le soleil. Le soleil, non pas rond et mesuré, mais large comme une cymbale d’or en fusion.
J’entends le pignon de ma bicyclette et aussi le frottement du pneu arrière contre le garde-boue que je ne suis pas parvenu à redresser correctement après un de mes nombreux dérapages incontrôlés. (…)
Je suis le cow-boy et dans le même temps, je suis celui qui le met en scène. Je suis l’œil derrière la caméra. Monté sur mon vélo, j’établis le plus coulé des travellings, sans saccades, sans à-coups. Mon œil est la caméra. Il enregistre l’été. (…) Je suis tout à la fois l’acteur, le metteur en scène et le spectateur. Les trois, uniques, et en un seul. Mon été infini est mon premier film.
Tandis que je longe l’église, et que mon œil a panoté vers la droite de façon à saisir dans un plan devenu plus large encore, le coteau de la rue Rambétant, ses vergers, ses sentiers, le grand canal qui longe son piémont, une cloche soudain sonne la demie heure que je ne saurais déterminer avec exactitude. »

Philippe Claudel, Au tout début, éditions Aencrages & Co, 2016. Non paginé.

En savoir plus sur l’auteur

NDLR : Philippe Claudel nous livre ici la naissance de son amour pour la caméra en tant que créateur d’images, alors qu’à l’âge de 10 ans, petit garçon enfourchant sa bicyclette, par la transposition d’un mécanisme à l’autre et d’une imagination débordante, il tournait ses premières séquences.

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