Le QG des keupons

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Grand café Foy

« Un samedi après-midi, peu après, tout le monde était au Foy. Bar chic, hautes fenêtres donnant sur la Place Stanislas. Banquettes en cuir marron, tables de marbres et lustres somptueux.

Comme à son habitude, la patronne faisait la gueule, se demandant encore et toujours ce qu’elle avait fait pour mériter que son bar pour bourges et touristes deviennent le QG favori de tous les keupons du quartier.

Gloria buvait des demi-citrons, parce qu’à l’époque elle aimait déjà être saoule, mais pas encore le goût de l’alcool, auquel elle préférait celui des bonbons.

Ils étaient nombreux, ce jour-là. Il y avait Victor, crâne rasé, veste grise, fan de groupes allemands, Mathilde était là aussi, anorexique sublime, les yeux redessinés à l’eye-liner, trente centimètres de cheveux noirs impeccablement dressés sur la tête. Il y avait Léonore, petite keupone à crâne rasé, les yeux maquillés dans les bleus, ongles longs et très court vêtue. Il y avait la petite Loreleï, cheveux rouges et crucifix accrochés partout, un véritable festival, croix à l’endroit, d’autres à l’envers, aux oreilles, autour du cou, aux poignets, minijupe verte et collants rouges à rayures noires. Elle avait deux dents manquantes, sur le devant. Il y avait aussi la grande Poulbot, cheveux frisés blonds, vraie bonne tête, grande gueule et jupe très longue, look genre années 30. Il y avait le gros Herbert, et son pote Roger, pas franchement des intellectuels, bombers verts et jean retroussé. Nancy, à l’époque, ne comptait pas suffisamment de jeunes intéressés par la musique punk pour que skins et keupons se mettent sur la gueule. Ils laissaient ça à la capitale, manque de combattants locaux. »

Virginie Despentes, Bye Bye Blondie, Grasset, 2004, pp. 118-119.

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