Nous aimer sans compter

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Contrexéville.

Crédit photo : Dadu Jones

Histoire d’eau et de neige, Yves Simon

« A Contrexéville, mes parents et moi n’avions qu’un seul luxe : nous aimer sans compter. Vécue entre un père et une mère qui m’adulaient plus que tout, mon enfance fut pauvre et heureuse, marquée par la neige, ma rencontre poétique avec le monde. Les grandes étendues de blanc me firent songer à un album infini où je pourrais lire un univers animal vécu sans moi. Traces de passage de lynx, de belettes, pattes d’aigles, je partais pour de longues balades initiatiques en forêt et m’extasiais des abbatures, ces touffes de poils accrochées aux écorces. Branches de sapins surchargées qui me faisaient croire à un décor féerique par la seule magie d’une rigueur glacée offrant parure et silence à des paysages d’où ne s’échappait aucun cri. Enfant unique, j’étais fier de ma solitude et jamais il me serait venu à l’idée de regretter l’absence d’une quelconque fratrie. Pourtant, le soir je m’adonnais à mes servitudes sociales et glissais sur ma luge en compagnie d’autres écoliers sur une pente verglacée qui descendait de la ligne de chemin de fer jusqu’à une rivière gelée. Ce petit bourg fut le lieu privilégié de mes premiers émois à considérer le monde comme une énigme dont il m’appartiendrait un jour de découvrir les mystères. Médium paisible, la neige qui, à chaque hiver, recouvrait de silence un univers de bruits et de couleurs, désormais dissimulé à mes yeux, permit ma première confrontation avec l’invisible d’où surgirait l’inlassable quête poétique des chansons et des romans pour en décrypter les arcanes.

Les cartes postales de Noël avec leurs vallons enneigés, les chaumières illuminées, les arbres où se trouvaient collées des paillettes de givre argentées, participèrent de mes premiers frissons artistiques puisque je voulus reproduire à la gouache ou à l’aquarelle ces miniatures de paysages que je déclarais enchantées.

Je peignais, j’arpentais les champs et forêts enneigés, mais encore je sculptais. Longtemps, je voulus devenir menuisier-ébéniste. Le bois étant ma matière de prédilection, j’avais transformé une partie de ma chambre en atelier, un rebord de fenêtre me servant d’établi. Villebrequins, ciseaux à bois, étau, limes, scie à découper, j’avais reçu en cadeau d’anniversaire la panoplie du petit menuisier. Je quittais l’école à toute hâte pour affronter les échantillons de chêne, de hêtre (mon bois préféré), de balza et de contreplaqué, me retrouver face aux objets que j’entreprenais de fabriquer. S’installa alors ma première manufacture des rêves : je sculptais des feuilles d’acanthes, des angelots, confectionnais des lampes de chevets et des lampadaires, des petits bancs, une crèche pour abriter mes figurines de plâtre peint qui peuplaient la crèche en papier rocher de la Nativité. »

Paroles d’auteurs – La Lorraine, éditions Conseil régional de Lorraine, Serge Domini, 2007, pp. 121.

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