Lieu de mémoire

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Ossuaire de Douaumont.

Verdun, le 18 septembre 1927

« Jeanne-Marie n’avait pas voulu accompagner ses parents à l’inauguration de l’ossuaire de Douaumont, près de Verdun. Elle trouvait un peu étrange une cérémonie du souvenir qui intervenait neuf ans après la fin de la guerre. Elle refusait de comprendre, s’agaçait, au grand désespoir d’Emélie.

– Je t’ai déjà expliqué, reprit sa mère, que sur cette terre est mort le père de Clémence et de Charles, et que son corps est resté là-bas. Il n’a jamais pu être identifié. La terre de Verdun l’a englouti, comme trois cent mille autres soldats français. Il est normal qu’en ce lieu un mémorial rappelle le sacrifice de ces hommes qui ont donné leur vie pour la paix. Pour Clémence, absente puisqu’elle travaille dans un hôpital parisien dans le cadre de ses études de médecine, et pour accompagner Charles, qui, lui, tient à venir, nous devons nous absenter.

Et Emélie ajouta plus bas :

– Et pour moi, car François fut mon mari.

– Rosa restera près de toi, dit Matthieu à Jeanne-Marie.

– Qui va conduire la voiture ?

– C’est moi, reprit Emélie, il me semble que je sais conduire, non ? Je l’ai prouvé à maintes reprises.

Matthieu ne dit rien. Il devinait sa fille inquiète et la prit contre lui.

– Ne t’inquiète pas, ta mère est plus prudente que moi. Nous te téléphonerons dès notre arrivée et même en cours de route, si c’est possible. Verdun, ce n’est pas le bout du monde, ma chérie.

[…]

La redécouverte du plateau de Verdun fut un saisissement pour Matthieu. Les lieux étaient encore habités, hantés, même. Le vent qui sifflait aux oreilles portait le souffle de ces hommes qui faisaient corps avec cette terre dont tout disait qu’elle garderait longtemps les stigmates de la souffrance. Cette terre avait bu le sang des hommes. Elle avait pris les êtres et n’avait rien rendu, qu’un immense désespoir. Un immense charnier, un magma humain. Par respect pour ces hommes et pour leur souffrance, aucun édifice, sauf celui du souvenir, ne devrait jamais s’élever en ces lieux. Il fallait entendre le chant des défunts sur cet étrange terrain ressemblant à une croûte lunaire.

« Que les vents portent le cri de l’absence ! Que les vents disent à jamais l’horreur de la guerre. Que les vivants l’entendent et veillent sur la paix », écrivait un journaliste qui relatait l’événement. »

Elise Fischer, Les alliances de Cristal, Terres de France, 2012, p. 258.

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