En calèche

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Route de Paris, Nancy

 Elle se promenait en calèche, avec son amant et son mari sur la route de Paris qui, à Nancy, est la promenade à la mode. Un des jeunes gens de la société passait à cheval ; il faisait exécuter à son cheval quelques mouvements singuliers et gracieux, ou bien il disait un mot qui plaisait à Madame d’Hocquincourt ; aussitôt elle n’avait plus d’yeux que pour lui. Et si Monsieur d’Antin s’avisait de parler avant que le souvenir du passant fût oublié, il était sûr de voir l’impatience et le dégoût remplacer à l’instant dans ces beaux yeux le feu céleste dont ils brillaient un instant auparavant. Lucien découvrit une autre qualité bien rare et bien précieuse chez Madame d’Hocquincourt : elle n’avait pas le moindre souvenir aujourd’hui de ce qu’elle avait dit ou fait hier. C’était un être gai qui vivait exactement au jour le jour. « Elle est faite, pensait Lucien, pour être la maîtresse d’un grand roi ennuyé de l’ambition et des manèges de ses courtisans et de ses maîtresses. »

Lucien songea souvent à s’attacher à cette aimable femme. « Peut-être alors, se disait-il, Nancy me semblerait-il moins exécrable. » Mais prendre une maîtresse n’était pas une petite affaire. En province, encore plus qu’à Paris, il faut commencer par devenir l’ami intime du mari, et le triste Monsieur d’Hocquincourt, toujours lamentable, toujours parlant de l’histoire de 93, et pour la défigurer, était peut-être de tous les habitants de Nancy, le plus ennuyeux pour Lucien. »

Stendhal, Lucien Leuwen, éditions Le Livre de poche, 2007

iconographie : Wikipédia

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