La « maison des jours meilleurs »
Lieux évoqués : Nancy, Maxéville
La maison « des jours meilleurs » pour l’abbé Pierre
« Une autre maison individuelle va mobiliser l’énergie de Prouvé deux ans plus tard : celle qu’il proposera à l’abbé Pierre. Prouvé a connu l’abbé juste après la guerre, avant qu’il ne se dresse devant la France entière pour lancer son appel pathétique en faveur des mal-logés.
De son vrai nom Henri Grouès, l’abbé Pierre a milité dans la Résistance en région lyonnaise. En 1946, il s’est fait élire député de Meurthe-et-Moselle sous l’étiquette du MRP. À Nancy, Prouvé et l’abbé Pierre auront l’occasion d’entendre parler l’un de l’autre. Mais leurs chemins ne se croiseront que dix ans plus tard. L’abbé Pierre a fait, durant ces dix ans, une lente introspection qu’il a conduit à abandonner le champ du politique pour se rapprocher des militants chrétiens ouvriers. Il a trouvé sa voie dans une mise en pratique plus radicale des Evangiles, plus proche des humbles. Il perdra son siège de parlementaire.
Comme Prouvé, l’abbé vivra la crise du logement comme un vrai drame social. Une forme d’exclusion insupportable. En cette année 1956, le manque de logis dignes pour les pauvres est à son point culminant. Des familles nombreuses s’entassent dans des taudis autour des grandes villes. Tandis que les hommes politiques tergiversent sur les choix techniques, des associations se créent pour lutter contre cette misère criante. L’abbé Pierre fonde les Chiffonniers d’Emmaüs, des équipes de chiffonniers qui vivent en marge de la société et tentent de s’organiser pour sortir la tête haute de l’enfer de la pauvreté.
L’abbé Pierre prend alors contact avec Prouvé afin qu’il dessine une maison bon marché pour abriter des sans-logis. La maison doit-être facile à monter, transportable, produite en grande série. Prouvé est l’homme de la situation.
Pour lancer l’opération, des fonds doivent être mobilisés. L’idée séduit le magazine Marie-Claire, qui lance une campagne de presse. Le fabricant de lessive Persil s’y associe. Sur ses paquets, il fait apposer des vignettes à dix francs, qui doivent être collectées en faveur de l’abbé. Un million de ces vignettes seront récoltées en quelques semaines.
Cette « maison des jours meilleurs » n’a plus rien à voir avec un baraquement d’urgence. Prouvé l’annonce clairement : « il faut construire de la beauté, tous les jours et pour tous. » Son équipe va se servir des plans de la maison d’Alba (en aluminium et béton armé) mise au point à Maxéville. Les esquisses sont dessinées en six semaines ; les fondations sont constituées d’une cuvette en béton posée à même le sol. Si l’espace intérieur ne mesure que cinquante-deux mètres carrés, Prouvé va s’employer à le rendre agréable et fonctionnel : un bloc sanitaire circulaire qui sert de noyau central, une salle à manger, deux chambres, une cuisine et des toilettes. La colonne centrale va permettre de rigidifier la maison. Les panneaux de façade sont ici semi-porteurs mais facilement démontables.
Le 20 février 1956, par un froid sibérien, le prototype est monté sur un quai à Paris à côté de la place de la Concorde. L’abbé Pierre a convié la presse à assister à la manœuvre. Pour assurer l’assemblage, Prouvé se fait aider de ses propres collaborateurs et de deux monteurs de la société dirigée par Jean Chataille, complice de longue date de Perriand et de Prouvé. La maison sera achevée en sept heures. Comme le souligne le reportage de l’Est Républicain du lendemain : « Les ouvriers ont engagé une course contre la montre […]. Le bloc central fabriqué en usine a été descendu par une grue au centre de la plate-forme de béton qui supportera l’ensemble de la maison. Même les casseroles étaient déjà à leur place dans la cuisine. »
François Moulin, Jean Prouvé, le maître du métal, la nuée bleue, éditions de l’Est, 2001.
Iconographie : wikipedia