« Voilà, c’est plié »
Lieux évoqués : Nancy
Nancy, Hiver 1987 : Potage
« Voilà, c’est plié. Les deux vantaux du camion de déménagement se referment. Une séquence de ma vie aussi. Un pourcentage sur une durée inconnue, mais si compact, si concentré, si inracontable. Comme il est bon, le Daron n’est pas présent. Si d’aventure, il avait fréquenté les Scouts, son Totem aurait pu être Cafard intrigant. Il imagine sa fille n’avoir aucun regret à quitter un appart’ quasiment vide. Une représentation de mon néant, selon Lui ? Va savoir…Il viendra la chercher Gare de l’Est, demain. Qu’elle ne prenne pas un train de banlieue, son Trésor.
« Attends-moi dans le parc. Je remonte chercher ton sac. Tu ne dormiras plus ici. J’ai réservé une chambre au Novotel. » Voilà, c’est rangé. Ses ultimes vestiges nancéiens tiennent dans une besace où j’ai rajouté un paquet de Dragibus et un kit de survie en milieu hostile tenant dans une petite boîte d’allumettes.
« Viens, on va dîner. Tu choisis. » Après le cône du condamné. Elle choisit un restaurant. On dîne, sourires.
As-tu déjà essayé de ranger des pâtes alphabet dans le bouillon de pot au feu chez tes Anciens ? De faire des mots ? Il manque toujours une lettre. Au fond, il y a des petits bouts de navet, des tranches de carotte. Entre les yeux surnageant, il y a un discours à la limite de la surface. Mais il manque toujours une lettre… »
Stephan Alvarez, Hamburger Lady, Éditions Les peuples de la nuit, 2023, p.21-22