Musique à gogo

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Nancy

Nancy, 1985 : mondanités superflues

« Une de ces soirées à la con qui me gavaient comme t’as pas idée alors que tu aurais tué pour en être, mais je devais me montrer entre mes prochains concerts et les petites babioles en acrylique sur Komacel que j’arrivais parfois à refourguer. C’est une belle demeure du début du XXe siècle, style Art déco. Il en reste trois ou quatre à Nancy.

On n’aura que l’immense escalier en fer à cheval et les chiottes des bonniches en sous-sol. Les parents ne sont pas trop cons. L’héritier, un jeune gay qui en rajoute, est partout comme une libellule. Je débarque là-dedans. On se croirait dans un raout de lancement de clip de chevelus anglais (it’s not me talking). Avec toujours cet air d’être revenu de tout. C’est presque immonde à force de photocopies humaines, de panurgisme suffisant. Des crevards de dernière zone, mais potes de potes de potes, appuient leurs mains sur les plateaux vides de petits fours, juste histoire de capter les ultimes miettes de zakouskis disparus. Question look, rien à dire, mais faudrait livrer une palette de savon…

Sur le premier palier, une batterie, un Moog Prodigy, et une basse sur un trépied. (Elle était dans la vitrine de Dupont Metzner, il y a encore un mois : Une Squier, une Fender mexicaine. Rouge et blanche).

Et vas-y, que… On va pas me foutre la paix. Je ne veux pas jouer. On insiste. Je ne peux pas faire autrement. Plus rien à boire depuis deux heures, mais on me trouve un coca et un demi flask de vodka (j’aime pas la vodka) … Salaire de pute de taule d’abattage. Je me sangle. J’essaie de communiquer avec le type du synthé. Il sait tout, me regarde comme un étron sur lequel ne pas glisser.

Bon. On envoie. Le batteur, rien à dire. Sauf un tout petit manque de moelleux derrière les muscles. Mais on a le tempo… Le synthé : il me couvre. Je gigote mes doigts, essaie de monter le son, ce qu’il fait immédiatement ensuite. Je ne peux pas en placer une. Il n’y en a que pour lui… C’est bien mon chéri, tu reprends Taxi Girl comme un dieu, mais on devait faire un bœuf.

Tiens, à mes pieds, je remarque la multiprise qui dessert tout.

Le « public » se gave, ça commence à fomenter des évasions. Mais apparemment, faut rien dire. Le gang des Libellules. »

Stéphane Alvarez, Hamburger Baby, Les Peuples de la nuit, 2020.

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