La soprano
Lieu évoqué : Place Stanislas, Opéra
« 20h45, place Stanislas, le Grand Théâtre.
Le maire obtint un franc succès à son arrivée pour la première de « Norma ». Une rumeur naquit dans le théâtre comble, enfla et creva à l’entrée du premier magistrat dans sa loge. Bertin portait pour la circonstance un, smoking de location, le sien, trop fatigué, avait craqué lors de la dernière sortie. Il arborait une expression parfaitement stupide et satisfaite, à dire vrai, il ne savait jamais quelle contenance adopter en public et il souriait à tout le monde. À deux pas suivait Catherine dans une longue robe blanche fendue jusqu’à mi-cuisse. Bertin, bon prince, salua de la main le public qui l’applaudissait, Catherine s’assit à sa droite, les lumières faiblirent et l’orchestre attaqua l’introduction.
Le maire n’attendit pas la fin du premier chœur pour dévoiler clairement ses intentions. Il posa, en appuyant à peine d’abord, sa main moite sur le genou gauche de sa voisine. Comme Catherine ne bronchait pas, il passa sa patte sous la robe et l’appliqua sur le collant.
Lorsque Norma parut, Bertin retira ses lunettes et porta à son œil, d’une seule main, une longue-vue de théâtre, pour détailler à loisir les charmes de la soprano.
– Ce que j’aime, à l’opéra, c’est les cantatrices, souffla-t-il. Celle-ci fait au moins un mètre de tour de poitrine. Elle est splendide.
Catherine considéra son voisin hypnotisé avec mépris mais ne dit mot. Bertin était exactement aussi médiocre qu’elle s’y attendait. »
Alexis Gleiss, Nancy seventies, squatteurs story, Editions Territoires Témoins, 2010, p.66.