Ville vieille endormie

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Rue Saint-Michel, rue de la Source, rue du Cheval Blanc, rue de la Charité, Grande-Rue et place Saint-Epvre

« Nancy, ville vieille.

Patrick gara son vieux break 3 CV Citroën à l’entrée de la rue Saint-Michel. Il coupa le contact et attendit quelques secondes. Un coup d’œil à sa montre. Trois heures du matin. Pas un chat dans la rue. Il s’éjecta, dépliant son mètre soixante-dix-huit, claqua la portière, juste assez fort pour qu’elle ferme d’un coup. On ne distinguait que ses yeux brun vif dans son visage mangé par les poils.

Le crachin de novembre le fit frissonner. Le jeune homme remonta le col de fourrure acrylique de son blouson de cuir et tira sur son jean qui lui rentrait dans les fesses. Par le hayon arrière du break, Patrick dégagea l’étui de skaï noir qui contenait sa contrebasse et se mit en marche d’un pas rapide, tricotant de ses longues jambes maigres. Ce serait quand même plus pratique de jouer de la flûte. Il en avait marre de trimbaler cet engin.

La rue Saint-Michel était une des rues chics de la ville vieille. Elle comptait quelques professions libérales, leurs maisons cossues dormaient à volets fermés, des murs surmontés de grilles délimitaient les parcelles de chaque propriété. Plus loin, rue de la Source, du Cheval Blanc, de la Charité, les immeubles vétustes pullulaient et la population relevait du sous-prolétariat de tous les pays ou presque. Plus les chômeurs intermittents, les proxénètes occasionnels, alcooliques récidivistes et prostituées notoires. Quelques intellectuels aussi, enseignants pour la plupart, habitaient le quartier pour le charme de ses vieilles pierres et de ses petits loyers. Quant aux commerçants, Grande-Rue et place Saint-Epvre, à l’ombre de la flèche de l’église du même nom, ils prospéraient sournoisement, pratiquant des prix plus élevés qu’au centre-ville.

Patrick s’arrêta devant le dernier pavillon avant le terrain vague, isolé au bout de la rue. Au 41. Le numéro était encore lisible au fronton de l’entrée. La villa, entourée d’un jardinet envahi par les broussailles, s’élevait sur deux étages et semblait abandonnée, tous volets clos. »

Alexis Gleiss, Nancy seventies Squatteurs’ Story, Éditions Territoires Témoins, 2009, p.13-14

crédit photo : Dadu Jones

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