Corbeaux au café Foy
Lieu évoqué : Place Stanislas
Nancy, 1984/87
« Place Stanislas, architecture Louis XV taillée dans la masse, avec son hôtel de luxe et ses élégants cafés feutrés aux serveurs en livrée, empressés et discrets. Le gratin des corbeaux se trouvait au café Foy en journée, toujours et toujours les mêmes. Sapes de marque, godasses qui ne venaient pas d’une solderie chinoise, et véritables coupes de cheveux, à la différence des poussins de la place Maginot qui opéraient plutôt dans le brushing sauvage étayé au gel. (En fait, ces années étaient celles du « cheveu ». Quand ils condescendaient à t’accepter à leur table, ces aristocrates beaux comme échappés d’un numéro hors-série Spécial Tendances de The Face s’embarquaient dans une surenchère de projets dont aucun n’a jamais abouti ; création d’une revue, d’un groupe, etc. En fait, leur véritable talent c’était la critique cinglante. Ils rendaient des jugements sans appel sur tout et n’importe quoi, ponctuant leurs verdicts de moulinets avec leurs petites cuillères trouées de leurs cafés, quasiment leurs seules compétences. (Concernant les trous dans les petites cuillers, ça s’était généralisé depuis quelques mois, une vague de poudre soufflait sur la ville et rares étaient les tauliers qui n’avaient pas retrouvé une pompe égarée dans leurs chiottes).
Question look, ces gracieux déclaraient tous être dans une démarche strictement personnelle visant à « restituer visuellement les tensions d’une époque où l’individu ne compte plus… » et autres conneries vides de sens, évadées du même laboratoire à clichés. Pour ma part, je voyais une couvée de clones de Robert Smith ou de Siouxsie, mais il semblerait que je n’aie jamais rien compris des revendications sociologiques de ces jeunes repus narcissiques. »
Stephan Alvarez, Hamburger baby, éditions Les peuples de la nuit, 2021, p.30