Errances

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Hautes-Vosges

Crédit photo : Dadu Jones

« Henry Rouy emplit de vide l’après-midi de ce jour-là, aussi confus que profond : un vide haché, tout en fragments incohérents lui tenant lieu de souvenirs quand il chercha plus tard à y retrouver son chemin.

Il dut errer dans le village et ses abords. Certains habitants, passants, promeneurs, se rappelèrent l’avoir vu ici et là, marchant d’un pas décidé, à la façon obtuse caractéristique qui était la sienne, regard froncé piqué au sol à quatre pas devant son pas, ce qui n’avait en soi rien de particulièrement étonnant : qui ne l’avait jamais croisé au cours de ces promenades solitaires qu’il déroulait comme des épreuves sportives au long des routes et des chemins ?

Il dut même ébaucher le projet qu’il avait mûri dès le matin de se rendre au village voisin par les bois, en visite surprise au clan des filles Arro, car il fut secoué à un moment par une sensation brutale de réveil en sursaut, au beau milieu d’un chemin forestier à flanc de montagne, avec, devant et en-dessous de lui, dans la trouée des arbres qu’une dernière tempête venteuse avait couchés en nombre, les maisons périphériques du bourg, visibles au creux de la vallée.

Retournant vite sur ses pas. Reprenant sa marche frénétique en direction de la maison qui ne pouvait être que le seul et unique endroit où aller…

Dans la maison trouvant la mère dans sa chemise de nuit débraillée sur son torse d’os, assise, hagarde, à la table de la cuisine, devant un bol contenant de la poudre de cacao qu’elle piquait par pincées et dont elle s’était fait un maquillage barbouillé autour de la bouche et jusqu’au milieu du front et dans ses cheveux blancs.

– Lotide ! s’exclama-t-elle en le voyant.

– Nom de Dieu, maman ! »

Pierre Pelot, Braves gens du purgatoire, éditions Héloïse d’Ormesson, 2019, p. 379.

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