Fête foraine et rupture
Lieux évoqués : Gare, Rue Isabey, Nancy.
« Il y avait dans l’habitacle le parfum de ton style intelligent et maladroit. J’aimais tes intonations sans manière, tes traits d’humour désinvoltes et une certaine épaisseur qu’on ne trouve qu’en province. Tu conduisais une mini Cooper, ma main sur ta cuisse. On aurait pu s’aimer en sursaut.
Prénom tatoué sous l’élastique de ton slip, j’ai pénétré ton corps volcanique comme un atome. Salve de plaisir. On découvrait ensemble quelque chose qui ressemblait à ce qu’on dit du bonheur. Jouer à s’épouser. Pourquoi se marier ? Pour se marrer, tu parles. On disait que la vie est une histoire de confiance. Alors, à quoi bon se marier? Nous, on se faisait confiance.
D’autres jeunes couples comme nous, tournaient en rond, la fleur au fusil. Ta jupe au vent flottait sur l’échine d’animaux en bois peints aux couleurs saturées façons LSD dans les airs d’Orphéon d’un carrousel à l’ancienne. On a tiré des plombs dans des ballons en mouvement, on a dessiné des huit sur la piste du karting.
Ça a duré quelques temps, on croyait que ça durerait toujours. On ne cherchait surtout pas à comprendre le sens du mot « toujours » qui ne voulait rien dire.
Et puis, comme prévu, les choses ont évolué. Après la foire tout a foiré. Nos répliques se sont farcies d’ennui. Et petit à petit, tu as quitté le cercle d’attraction de mon royaume d’insouciance. Un soir même, ne m’as tu pas fait une déclaration d’indépendance ? Je ne voulais pas entendre ?
On ne s’appartenait pas l’un à l’autre !
Alors tu m’as dit qu’il n’était qu’un ami, mais j’ai bien senti que tu ne voulais plus tout LUI dire devant moi, genre : « J’te rappellerai plus tard… » Remarque, je n’étais pas un soldat de glace, moi non plus, je n’avais pas tout dit… Mais mon cœur s’est usé force de propulser dans mes artères un sang trop épais.
Les adultes louvoient, ils évitent les confrontations, nous étions jeunes, et j’étais jaloux.
Champagne dans des flûtes en cristal, tes amants étaient-ils seulement ceux d’une seule nuit dans un couloir de rencontres hâtives ? J’entendais le bouillonnement des idées noires, comme des céréales maltées dans le tonneau de mon cerveau en acacia. Comment pouvais-tu me faire ça ?
Tombé de l’arbre. Désespoir. Le lit vide. Les draps froids. L’ennui, profond comme un puits. Livide, les yeux ouverts. Le regard hagard, je mate le plafond. Mes rêves un peu verts. Je masturbe les mots pour faire jouir ton souvenir qui serpente le long des courbes d’une longue nuit opaque.
Se relever, traverser la place en hiver pour aller à la gare. Je voulais te faire une surprise. J’attendais sur le quai. Il faisait froid, un froid de canard, comme on dit. Connard. Mais le train n’est jamais arrivé.
Sur le parking de la place centrale, j’ai marché comme une ombre. Mater la nuit en fumant derrière une grille, attendre encore pour découvrir quelque chose. Où étais-tu ? Te guetter, je t’ai épiée, pieds et poings liés. Ridicule, on peut très vite se sentir aussi nul qu’un épouvantail.
Tectonique dans les bars moites ; oreilles droite bouchées, j’écoute en mono du blues dans ma bagnole. Tu n’es pas ressortie.
Rien n’a plus d’importance. Vendredi, on a fait le bilan. Fin de la partie, nettoyer le plancher, tu es repartie en emportant tes affaires. Il n’y aura pas de mon ADN dans les cellules de tes enfants.
J’habite désormais sous un ciel d’horloge, au 25e étage de la tour indifférence. »
Nancy, Quai Isabey, 1977
CharlElie Couture, La mécanique du ciel, 50 poèmes inchantables, pp. 77-78-79, Le Castor Astral, 2019.
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