« Le bistrot à l’image même de son propriétaire, semblait hors du temps »
Lieu évoqué : Rue Raugraff, Le Grand sérieux, Nancy.
« Il se rasa, enfila les premiers vêtements qui lui tombèrent sous la main et sortit en faisant claquer la porte malgré lui.
Souvenir d’une époque révolue, la petite clochette fixée sur la porte retentit lorsqu’il entra dans le bar.
Monsieur le commissaire, je vous souhaite le bonjour.
Andreani avait depuis longtemps renoncé à expliquer la hiérarchie au patron du Grand Sérieux, le bistrot à l’angle de la rue Raugraff où il passait chaque matin. L’express atterrit sur le zinc avant même qu’il ne s’accoude au comptoir.
Bien serré, sans sucre et brûlant, comme d’habitude. L’aspirine est en route.
Le Grand Sérieux était l’une des tables les plus recommandables de la ville, avec une carte qui allait à l’essentiel, sans raffinement inutile et en dehors des modes, mais le lieutenant n’y déjeunait pas souvent. Il préférait le calme du matin, passée la première vague des employés de bureau qui venaient s’y jeter un p’tit noir ou un crème en coup de vent avant de partir trimer comme des bœufs. Le bistrot, à l’image même de son propriétaire, semblait hors du temps, le lieu et l’homme se confondant en une seule entité. Le vernis des chaises en bois s’écaillait, le marbre des tables rondes avait perdu son éclat, le cuir vert anglais qui recouvrait les banquettes adossées au mur était usé jusqu’à la corde et craquelait ici et là. Pierre Timonier, le « Grand Sérieux », trônait derrière son zinc tel un capitaine à la barre de son navire. Il devait son surnom aux lectures à voix haute de classiques de la littérature qu’il assénait sans prévenir à ses clients, lorsque l’envie lui en prenait. »
Eric Todenne, Un travail à finir, Editions Viviane Hamy, 2018. p. 27-28.