Voyage de Dom RUINART

Publié par bmi d'Épinal le

Le Donon

Aussi y ayant pris un léger repas et renvoyant nos chevaux, nous arrivâmes enfin, au bout d’une marche d’une lieue, au pied du Frankenberg, appelé Deux-Monts, par les habitants du pays, parce qu’en effet il y a comme une seconde montagne qui s’élève au-dessus des autres. D’où nous étions, elle est tellement taillée à pic qu’on ne peut y monter qu’en rampant sur une terre molle et des herbes agrestes. On y voit un rocher presque abrupte[sic] partout, qui vers l’ouest forme comme une forteresse et s’appuie sur deux autres comme sur un double rempart. Nous n’y parvînmes que par les trous et les fentes des rochers. Nous eûmes alors devant les yeux une plate-forme de 100 pieds de large, sur quatre cents de long, terminée par un autre rocher plus élevé. Ayant fait environ cent pas dans cette espèce de plaine, nous trouvâmes les restes d’un ancien édifice, qui avait, entre les murailles, 37 pieds de long, sur 28 de large, et dont la hauteur, comme on peut le conjecturer d’après les pierres qui en restent, était de 13 pieds. Il y avait deux portes, l’une vers l’est, l’autre vers l’ouest, de cinq pieds de haut et deux de large, et autant de fenêtres, l’une au nord, l’autre au sud, toutes deux hautes de cinq pieds et larges de quatre. Cet édifice est bâti en pierres de taille carrées, jointes avec tant de solidité, qu’il est plus facile, comme on l’a éprouvé, de les mettre en morceaux que de les séparer ; aussi n’avons-nous pu savoir si c’était le fer, le ciment ou le plomb ou quelque autre matière qui les attachait l’une à l’autre.
Cet édifice a été habité, ainsi qu’on le voit par des débris de tuiles et de charbons, qu’on trouve assez souvent en fouillant la terre. Il a été sans doute ravagé par le temps et même par l’incendie.
A quinze pas plus loin, il avait été élevé une colonne carrée, haute d’environ 29 pieds, comme on peut s’en assurer par les pierres qui en restent. Ce monument se divisait en trois parties ; c’étaient en quelque sorte trois colonnes superposées dont chacune avait sa base et son chapiteau ; enfin sur cette masse avait été érigée une statue qu’on n’a pu encore retrouver parmi les ruines, quelque soin qu’on y ait mis.
Sur la base inférieure de la colonne étaient gravées des inscriptions, comme nous l’avons pu voir par quelques traces de lettres à moitié effacées. Tous nos efforts pour recomposer du moins quelques mots n’ont pu aboutir et nous n’avons pu en déterminer que les syllabes que d’autres de notre ordre avaient déjà devinées.
A vingt-cinq pas de là, on trouve un second édifice en tout semblable au premier et plus loin un troisième à pareille distance. En face du second, vers le nord, on remarque les vestiges d’un puits que le temps a comblé.
Après avoir visité tous ces édifices, nous arrivâmes au rocher le plus élevé dont la face méridionale présente un bas-relief sculpté sur la pierre même, représentant le combat d’un lion contre un sanglier. Le lion furieux, la gueule ouverte comme pour dévorer le sanglier, s’élance sur lui ; l’autre, prêt à la défense, tournant le dos à la roche qui se rétrécit, se tient sur un terrain un peu plus élevé. Sous cette sculpture se lisent les deux mots suivants, gravés en caractères romains, le premier sous le lion, le deuxième sous le sanglier.
BELLICcVS SVRBVR

Dom Ruinart, Voyages anciens et modernes dans les Vosges 1500 – 1870, Épinal, Éditions Veuve Durand et fils, Libraires-éditeurs, 1881, pp. 28-30

Bibliographie : Dom RUINART (1657-1709) est un savant bénédictin de la congrégation de Saint-Maur. Disciple de Dom Mabillon, il l’accompagna à l’occasion de ses voyages en France. Un périple en Alsace et en Lorraine, effectué en 1696 lui inspira la rédaction d’un Voyage littéraire en Alsace et en Lorraine.

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