« l’Invitation au voyage »

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Nancy, École de Nancy, parc de Saurupt, rue des Brice, rue de la Pépinière.

« Nancy, 1908

On entendait jusqu’au fond du jardin de cette belle villa de la rue des Brice le chœur des sorcières du Didon et Enée de Purcell, joué au clavecin.

Solène Boulier avait appris à en jouer dans sa jeunesse auprès de sa propre mère qui se faisait un point d’honneur d’initier chacun de ses enfants à la musique. Si Camille trouvait ces mélodies un peu vieux jeu, Hector, quant à lui, ne se lassait pas d’écouter son épouse égrener au vent des mélodies qui ravissaient son âme d’artiste.

Il en profitait d’autant plus qu’il passait davantage de temps dans sa bijouterie de la rue Pépinière que dans la maison qu’il avait fait édifier quelques années plus tôt dans le parc de Saurupt, lequel s’était ouvert à la construction sous l’impulsion des tenants de l’Ecole de Nancy.

La villa avait été achevée l’année même de la mort d’Emile Gallé, en 1904. Hector s’était adjoint pour ce faire les services d’artistes qui n’étaient pas encore célèbres dans leurs domaines respectifs (architectures, boiseries, vitraux, ameublement.) : Emile André, Eugène Vallin, Jacques Gruber, Louis Majorelle, Paul Guth…

Ils en avaient fait un concentré de confort et de modernisme, de classicisme revisité et d’audace Art Nouveau. Rien n’échappait à cette folie des courbes et des formes élancées, des montants de cheminées aux entourages de portes, des moulures des plafonds aux clenches des fenêtres, des grilles de balcon aux moindres détails du mobilier intérieur.

Le maître mot de cette maison en était la lumière. Elle devait pénétrer partout et tout le temps. Hector avait même fait graver dans la pierre de la façade principale une phrase tirée des pensées de Joseph Joubert : « L’âme du diamant est la lumière ».

Eugène Corbin, propriétaire des Magasins Réunis, s’inspira d’ailleurs directement de cette demeure pour tracer les plans du pavillon qui deviendrait celui de la Maison Moderne à l’Exposition de 1909. Il alla jusqu’à recopier à l’identique la frise de céramique qui courait autour du plafond de la cuisine : un chat effleurant un bout de la patte d’un animal embroché.

Tout dans cette maison rappelait les correspondances chères au cœur de Baudelaire, et plus particulièrement deux vers des Fleurs du mal tiré de l’Invitation au voyage :

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté… ». »

Jérôme THIROLLE, Le boiteux du Parc Sainte-Marie, Editions Gérard Louis, 2011, P.48-49

Iconographie : Dadu Jones