Les méandres de la Moselle – Caroline Babert
Gare d’Épinal
La vieille micheline galope, s’emballe dans la dernière ligne droite, ralentit enfin, on approche de la ville, puis rend l’âme dans un curieux bruit de ferraille où les aigus frémissent. La gare est là, longue bâtisse crépie, désuète, avec ses sept portes qui ouvrent sur le quai, encadrées du même bleu qu’hier, à peine terni, surmontées des mêmes inscriptions : chef de service, billets, messagerie, téléphone, chef de gare, salle d’attente première classe, salle d’attente deuxième classe.
La plupart des derniers voyageurs descendent, elle regarde passer de main en main les valises de carton vieillies de quinze ans, les paniers remplis de marchandises, les sacs de skaï ou de plastique, une agitation vite gommée, chacun a envie de se coucher. Elle se rapproche de la pâle lumière jusqu’à coller son front à la fenêtre, ce pays est son pays, elle ne veut rien manquer de ce spectacle. Ni le fanion rouge du chef de gare, ni le salut du machiniste. Puis la micheline repart, bringuebalant un peu plus qu’au départ de Nancy, déjà épuisée par la neige en barrières molles et lourdes qu’elle doit pourfendre. Et c’est encore la nuit. Elle croise les mains, s’enfonce dans son coin et égrène à voix haute la fin de son voyage : Châtel-Nomexy, Thaon, Épinal.
Épinal, le commencement d’une autre attente.
Caroline Babert, Les méandres de la Moselle, Paris, Éditions Ramsay, 1980, pp. 22-23
Bibliographie : Caroline BABERT (1947-2010), journaliste et romancière, a obtenu le prix Erckmann-Chatrian 1980 pour son roman Les Méandres de la Moselle. L’ouvrage retrace la quête d’une jeune parisienne à la recherche de ses origines à Épinal.