Montaigne dans les Vosges
Poussay
« De Neufchâteau, où nous déjeunâmes le matin, nous vînmes souper à Mirecourt, six lieues. Belle petite ville où M. de Montaigne ouït nouvelles de M. et Mme de Bourbonne, qui en sont fort voisins. Et lendemain matin après déjeuner, alla voir à un quart de lieue de là, à quartier de son chemin, les religieuses de Poussay. Ce sont religions de quoi il y en a plusieurs en ces contrées-là, établies pour l’institution des filles de bonnes maisons. Elles y ont chacune un bénéfice, pour s’en entretenir, de cent, deux cents ou trois cents écus, qui pire, qui meilleur, et une habitation particulière où elles vivent chacune à part soi. Les filles en nourrice y sont reçues. Il n’y a nulle obligation de virginité, si ce n’est aux officières, comme abbesse, prieure et autres. Elles sont vêtues en toute liberté, comme autres demoiselles, sauf un voile blanc sur la tête, et en l’église, pendant l’office, un grand manteau qu’elles laissent en leur siège, au choeur. Les compagnies y sont reçues en toute liberté, chez les religieuses particulières qu’on y va rechercher, soit pour les poursuivre à épouser ou à autre occasion. Celles qui s’en vont peuvent résigner et vendre leur bénéfice à qui elles veulent, pourvu qu’elle soit de condition requise ; car il y a des seigneurs du pays qui ont cette charge formée, et s’y obligent par serment, de témoigner de la race des filles qu’on y présente. Il n’est pas inconvénient qu’une seule religieuse ait trois ou quatre bénéfices. Elles font au demeurant le service divin comme ailleurs. La plus grande part y finissent leurs jours et ne veulent changer de condition. »
Montaigne, Journal de voyage [1580-1581], Paris, Edition Arléa, 1992, pp. 14-15.
Biographie : De septembre 1580 à novembre 1581, Montaigne voyage en Europe afin de soigner ses crises de coliques nephrétiques. Son Journal de voyage, retrouvé dans une malle en 1770 relate le récit de ce long périple entreprit par l’auteur à 48 ans en Italie par l’Allemagne et la Suisse. Les pages concernant les Vosges sont parmi les premières du manuscrit, auquel il manque la page de titre et les premiers feuillets. Pendant dix-sept-mois, Montaigne fera halte dans les villes d’eaux célébrées depuis l’Antiquité, où à chaque fois, il éprouvera la vertu des bains et des douches. C’est le cas notamment à Plombières où Montaigne laisse une belle description de l’organisation des bains.