« Un théâtre de bois »

Lieu évoqué : Théâtre de Busssang

« Maurice Pottecher a vingt-huit ans quand son théâtre de bois vient au monde, unique, dans le fond d’une vallée étroite des Vosges. Parfois, la montagne sourit, à peine si le coin de ses lèvres plisse et se trousse. Il faut, pour s’en apercevoir, une certaine habitude de l’œil, de l’oreille aussi, et savoir se déshabituer du quotidien massacre des paysages alignés sur le bord des routes et jusque dans les villages. C’est une façon qu’a la lumière de se poser dans les fougères hautes des sous-bois. Sans le moindre doute, elle a eu de ces sourires-là, pour l’homme qui lui reconnut vocation théâtrale. Non pas seulement sa vocation à lui, sa décision à lui, mais son identité à elle. Elle est le théâtre. Elle est le monde entier, pour celui qui a choisi de raconter un morceau du monde. Elle est au moins aussi vivante, autant le monde, que les villes de partout et nulle part dans les murs desquelles sont dressés les QG et décidées les batailles des leurres et des lazes. Que les décors tournent et se dressent ! Le rideau se lève, il retombe. Les trois coups que l’on frappe encore et toujours ne sont qu’un écho évoquant la très lointaine première fois. Le commencement de la représentation se perd dans des gouffres de nuit des temps, le rideau final ne tombera qu’avec le réveil de la bête, et personne, pas même les dieux (à qui la peur des hommes distribua le premier rôle), personne ne connaît l’instant. Dans ce théâtre-là, ce Théâtre du Peuple, ainsi le veut son créateur, se poseront en touches nettes et sincères, comme sous le pinceau d’un impressionniste, les couleurs de la vie des gens d’ici, qui sont à leur façon gens de partout. Puisque ce morceau du monde est le monde. Les gens et les saisons d’ici parlent un même langage. Ils ont les mêmes mots qu’ils poussent au plus court, les mêmes acharnements tranquilles à vivre selon des rites, un rythme, un modèle donné. »

Pierre Pelot, Un autre pas dans la rivière, Presses de la Cité, 2021.