Caresser ses mouhates

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Remiremont

« Ce n’était pas de gaieté de cœur. Dolat ne l’avait jamais fait jusqu’alors. Contrairement à tous les autres, très-ordinairement élevés et appris dans la tradition des briseurs, le maître des mouchettes du chapitre était seul à ne pas commettre ce qu’il appelait crime, non seulement dans les vallées des Moselles mais aussi les forêts du pays montueux et jusque sur les chaumes pelés des sommets, au plus loin qu’on le racontait (d’aucuns moqueurs prétendant que Mansuy de Remiremont caressait ses mouhates* une par une et leur faisait passer l’hiver au chaud sous sa paillasse !) – Mansuy disait : C’est pas pour qu’on les tue qu’elles restent près de nos maisons à partager la miellée avec nous autres, c’est pour qu’on les protège au contraire.

À la vérité, Mansuy ne lui avait jamais interdit quoi que ce fût – sinon cette pratique-là.

Et bien que le profit d’ores et déjà reçu en paiement du forfait l’eût comblé dans sa chair et ses sens au-delà des attentes les plus mordantes il en repoussa pourtant au plus loin la criminelle exécution. Pria saint Pierre, patron des mouchettes, de lui pardonner son acte…et n’aurait pu jurer en avoir acquis très indubitablement l’assurance quand un matin de givre à deux pas de novembre il se décida.

Le froid blanc épinglait les cris des oiseaux rares dans les branches et les feuilles fripées. Dolat ne dormait plus dès avant le jour, debout quand les pins de la poiche s’étaient secoués de l’ombre noire et dure qu’ils découpèrent un temps sur le ciel de lait acide. »

Pierre Pelot, C’est ainsi que les hommes vivent, Editions Denoël, 2003, p.461.

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crédit photo : FRENCH MOMENTS

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