Mirabelles
Lieu évoqué : Dommartin-aux-Bois.
« Enfant, je me rendais à la fin août dans le Village de Dommartin-aux-Bois […] ramasser ces jolis fruits d’or dans le verger d’une grand-mère. Situé près d’un calvaire, à chaque fois que nous passions devant le Christ de Pierre, je me devais de faire le signe de la croix pour ne pas la contrarier. J’aimais dormir auprès d’elle, sentir son odeur, me réveiller à l’aube : les journées commençaient de bonne heure et se terminaient au coucher du soleil. Les mirabelles se ramassent par terre après avoir été gaulées de l’arbre, celles déjà gâtées et violacées sont mises à part pour être versées au retour dans un grand fût de bois où elles vont fermenter avant d’être distillées. Le soir, un cheval conduisant une carriole où se trouvaient empilés les cageots de notre récolte, nous faisait traverser des champs au blé coupé, d’autres vergers, passer devant l’église au toit effondré. Inévitablement, et pour mon plus grand plaisir, j’avais droit pour le dessert du dîner à une marmelade […] de mirabelles !
Une fois la saison terminée, ma grand-mère m’octroyait un billet mauve de cinq cent francs – premiers salaires ! – et me laissait repartir pour la ville affronter la rentrée scolaire. Le billet dissimulé entre les pages d’une encyclopédie imagée allait servir à acheter un album Yvert et Tellier où je pourrais glisser dans des rainures translucides les timbres de ma collection. Être heureux de contempler ainsi mon trésor d’alors.
Je garde, de ces moments d’intimités avec une grand-mère née à la fin du XIXe siècle, comme du travail effectué, le souvenir épanoui d’une grande douceur, une fenêtre entrouverte sur un monde révolu. »
Yves Simon, Épreuves d’artistes : Dictionnaire intime, Calmann-Lévy, 2007, pp. 219-220.
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