L’arbre remarquable
Bois d’été
Lieu évoqué : Parc de la Pépinière
Mardi 5 juillet 2016
(entrée par la Terrasse, côté place Stanislas ; 11 heures)
« Il y a ce matin, au-delà du hêtre, une profusion de nuages, tranchés de fièvres lumineuses qui aspirent l’ombre et les pas et balayent les allées, les mots. Puis de nouveau roule une grisaille au bas des troncs, au creux des membres et de la matière de ce jour, au clair de nos présences, de nos attentes et de nos gestes. Il y a dans le parc une forme de silence, de disparition, d’évanouissement. L’arbre est absent. L’arbre est occupé.
Passé l’intense et spectaculaire éveil des beaux jours, qui nous émeut et nous offre de nous relier à eux, toute l’activité biologique des arbres est de nouveau comme intériorisée, retirée sous le masque des écorces. Les débourrements et floraisons du printemps sont un leurre, un moment où les arbres –ou du moins les feuillus- semblent animés par la frénésie d’exister et de manifester leur vitalité. Mais au terme d’une brève période où ils ont semblé vivre au rythme de notre monde, se rapprochant ainsi de nous, les arbres retournent au silence, à l’immobilité, à l’impassibilité et plus encore : à la lenteur. Là, ils affirment leur altérité, leur étrangeté, retirés en une dimension qui nous est refusée et que nous leur envions, celle d’une quasi et miraculeuse éternité.
C’est ainsi. C’est l’été. Les arbres sont occupés. Absorbés, industrieux, ils s’affairent secrètement à transmuter chaque photon qu’interceptent leurs feuilles, chaque molécule d’eau qu’aspirent leurs radicelles, chaque atome de carbone que captent leurs stomates, ces petits orifices sur les feuilles par lesquels ils respirent et transpirent.
C’est aussi pour eux le moment de faire une sorte de bilan qui va déterminer leur programme de croissance pour l’année suivante. Il y a dans les arbres, à ce moment, là un centre de décision qui, à partir de ce qu’il perçoit de la saison de végétation en cours, évalue les ressources disponibles et met en place les bourgeons qui assureront son expansion. Certains poussent même le sens du détail à pourvoir chaque bourgeon du nombre précis de feuilles dont ils auront besoin l’année suivante pour optimiser leur croissance. Davantage de feuilles permettra davantage de photosynthèse et donc de production de bois, mais il faudra alors disposer d’eau en quantité suffisante, proportionnellement à ce surcroît d’activité. »
Rémi Caritey, Un arbre de couleur pourpre, quatre saisons à la Pépinière, Editions Gérard louis, 2017.
Iconographie : Wikipedia