Désert de guerre
Lieux évoqués : Gare, Place Stanislas, parc de la Pépinière, rue Saint Jean
31 octobre 1939
« J’arrive à Nancy à 1 h de l’après-midi. On ne me demande même pas mon permis ; je descends une grande rue, ma petite valise à la main. Silence de mort, les boutiques sont vivantes, les confiseries regorgent de bonbons, de gros caramels qui ont l’air tout frais, mais on ne voit personne, on dirait une ville évacuée, ça me fait une forte impression. J’arrive à la place Stanislas qui, à travers Les déracinés de Barrès, m’a toujours paru si attirante, à cause de ses mystérieuses grilles dorées ; elle est très belle dans ce grand silence, déserte sous le ciel bleu, avec à l’arrière-plan les feuillages roux du parc. Je vais jusqu’à une autre place, au Q.G d’où on m’envoie à la gendarmerie qui est encore fermée. Je décide d’aller d’abord déjeuner. Et je traverse le parc, immense et somptueusement roux. Soudain, c’est l’heure des sirènes. Les gens ne s’affolent pas, au contraire, ils sont beaucoup plus nombreux que tout à l’heure ; je crois qu’il s’agit d’une manœuvre à laquelle les nancéens sont habitués et ça m’étonne tout de même un peu. Enfin, je comprends : je suis arrivée en pleine alerte et maintenant c’est la fin. Maintenant la ville grouille de monde. Je découvre a rue principale, bordée d’Uniprix, de cinémas, de brasseries ; ça rappelle Strasbourg, en moins joli ; presque toutes les maisons sont barricadées avec des palissades en bois : la ville semble un immense campement.»
Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Gallimard, 1960. p. 425
Iconographie : Limédia galeries