De tristes réjouissances

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Quartier de Bonsecours, Gare et hôtel de ville de Nancy, Porte Saint-Nicolas, Place Stanislas

« L’immense horloge du hall de gare indiquait vingt-deux heures quinze. Étourdis par la bousculade des voyageurs et l’immensité des lieux, ils avançaient happés par la foule. Certains étaient flanqués d’un amoncellement de bagages hétéroclites qui résumait leur vie, d’autres, vêtus de sabots et de hardes, n’avaient pour toute richesse que leur espoir et leurs mains. La gare était assaillie de réfugiés qui affluaient dans un tohu-bohu incontrôlé pour se diriger ensuite vers l’hôtel de ville où le Comité de soutien aux Alsaciens-Lorrains, créé par la municipalité et des personnalités de Nancy, les aiderait à se loger et à trouver du travail. Là-bas, assis autour de la statue du roi Stanislas dans une dignité recueillie, ils attendaient qu’on leur indique un asile et qu’on leur distribue quelques vivres. Le Comité agissait discrètement et rapidement de manière à éviter tout encombrement qui aurait suscité des frictions avec l’occupant. La mission était délicate, car elle favorisait l’arrivée des réfugiés dans une ville toujours sous le contrôle allemand et ceci, jusqu’au paiement complet de l’indemnité de guerre de cinq milliards de francs. En quelques mois, la population de la ville avait augmenté de moitié, les familles s’entassaient dans des bicoques insalubres et chacun se débrouillait pour survivre dans des conditions misérables. La municipalité prévoyait un vaste plan d’urbanisation dès que Nancy serait libérée de son occupant qui avait réquisitionné de nombreux hôtels, maisons et écuries pour ses troupes.

            Alice et Pierre s’estimaient chanceux d’avoir un point de chute et l’assurance de dormir sous un toit la nuit prochaine. Pour l’instant, il n’y avait plus d’omnibus. La prudence leur conseilla donc de s’installer du mieux possible sur un banc dans le hall de la gare et d’attendre que l’activité quotidienne reprenne avec les premières lueurs de l’aube. M. Lang leur avait donné l’adresse et la clé du petit logement mitoyen qu’ils occuperaient non loin de l’usine, et Pierre, pour se familiariser avec les artères de la ville, avait sollicité un plan auprès du Comité de soutien.

– Regardez maman, le quartier de Bonsecours se trouve tout près de la porte Saint-Nicolas, au sud de Nancy. Nous n’aurons pas trop loin à marcher pour admirer la place Stanislas et écouter le dimanche, le musiciens du kiosque de la Pépinière ! Cette perspective ravissait Alice, soulagée de voir son fils se projeter dans l’avenir. »

Angèle Bientz-Potin, Ce n’est pas pour toujours, Les Éditions du Quotidien, 2015.

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