Ceux qui restent

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Metz.

Crédit photo : Dadu Jones

« Mais comme l’hiver est doux ! Le soleil est un contrepoint, une insulte à mon chagrin… Je suis sur mon balcon, en mars. En fait c’est le printemps, maintenant, j’avais oublié. Tout est donc normal. Après la chaleur de Brisbane, ses décors de rêve, dont tu aurais dû profiter toi, Julien, pas moi – je connaissais déjà, ce sont les jeunes qui doivent voyager – me voilà à Metz, et le ciel est toujours d’un bleu insolent… Je bois un café, en mangeant un gâteau que j’ai préparé, avec celle qui m’écoute, et je pense à toi, je parle de toi, encore et encore. Pourquoi n’apparais-tu pas, par surprise, pour me dire bonjour, me déposer un doux baiser sur la joue, rire un peu avec nous, comme tu savais si bien le faire avant ?… Pourquoi, pourquoi ? Á cause de moi ? Non, on me dit que non, que je n’ai rien à voir avec ce que tu as fait. Mais on aurait quand même pu continuer un bout de chemin ensemble, non ? On s’entendait si bien…

C’est ce que je te dis quand je vais te voir, au cimetière de l’Est. Je parle à ton urne, bleue, si belle, avec la jolie plaque qui porte ton nom. Elle a été nettoyée récemment, elle brille, je suis contente. La dernière fois, je l’avais encrassée de mes larmes, j’avais frotté avec un mouchoir. Ce n’était pas une réussite, mais je ne supporte pas de voir la poussière s’accumuler dans ta maison. Je suis ta mère, je fais le ménage pour toi, puisque tu ne peux pas t’en occuper… Je sais que c’est ridicule, que tu n’es pas vraiment là, mais je m’accroche à cette parcelle qui te rattache à moi. Ton père pense à toi autant que moi, mais il n’a pas besoin comme moi de te rendre ces visites rituelles au funérarium. Tu es dans sa tête, pas dans cette urne qui ne rassemble que les pauvres signes de ton passage parmi nous, ces cendres qui ne restitueront jamais ton corps si beau, si vivant, tes jolis yeux verts au feu particulier, allumé à l’amour de l’humanité, aux reflets presque inquiétants qui nous prévenaient quand tu n’allais pas bien… » 

Brigitte Irion, Partir, éditions des Paraiges, 2014, p.44 45.

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