Meurtre à Plainfaing

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Plainfaing.

« Il n’y avait pas grand monde au restaurant. En cette veille de Noël, les gens préparaient la fête et gardaient leur argent pour les cadeaux et le réveillon. La salle à manger n’en était plus qu’imposante. Malgré tout l’atmosphère n’était pas pesante, le capitaine se sentait bien. En attendant d’éventuels voisins de table, il se dit qu’il allait prendre un verre au bar. Il était déjà gai mais un petit verre d’alcool le tentait. Il y avait plus de monde dans la salle du bar et les conversations allaient bon train. Tandis que les femmes priaient à l’église pour les ivrognes de maris, ceux-ci arrosaient leurs gosiers avec insistance. Ils repartiraient bientôt, l’esprit bien embrumé, vers leurs foyers respectifs pour le repas dominical où ils achèveraient de s’enivrer.

À la vue du capitaine, les conversations cessèrent ou continuèrent, mais à voix basse. On le regarda avec méfiance mais voyant qu’il était seul et qu’il s’apprêtait à déjeuner là on dut le prendre en pitié, car ont parut reprendre confiance et certains allèrent même jusqu’à le saluer. Il répondit très aimablement à leurs salutations. Le ton monta à nouveau, les conversations avaient repris bien innocentes pour la plupart.

L’un des piliers de bar, déjà bien aviné, s’enhardit à lui poser « la » question.

– Alors, mon capitaine, vous avez trouvé celui qui a tué l’ingénieur ?

Les nouvelles s’étaient propagées rapidement, on savait déjà que le mort de Plainfaing était ingénieur.

– Non pas encore.

Le capitaine ne voulait pas s’engager sur le sujet . Il ne pouvait rien dire et cet abruti était capable de s’énerver s’il ne lui répondait pas.

– Alors, qu’est c’que vous faites ? Pourquoi on vous paye ?

L’homme s’approchait dangereusement du capitaine qui rongeait son frein. Il sentait l’haleine chargée du bonhomme plus très loin de son nez. Il ne voulait pas se faire remarquer ni risquer de déclencher une querelle s’il la jouait représentant de l’ordre en remettant l’olibrius à sa place. Il avait donc pris le parti de se taire, mais l’autre ne voulait pas en rester là.

– C’est ça, vous voulez protéger un gros bonnet !

Le capitaine gardait toujours un silence prudent.

– C’est toujours pareil, si c’était un ouvrier, j’vous fout mon billet qu’y s’rait déjà en taule.

– Ça va, Bébert ! T’as rien d’autre à dire ?

C’était le patron, qui n’avait pas envie d’avoir des histoires avec la gendarmerie, qui s’en mêlait.

– À moins que ce soit un rouge et qu’ont ait pas envie qu’il foute le feu à la prison.

L’homme était de plus en plus rouge et avait de plus en plus de mal à former ses mots. Il se mit à proférer des insultes de plus en plus grossières à l’encontre de la police et de tous les suppôts du grand capital. Il balança aussi sur l’église, sur sa femme et sur tous ses voisins ce qui lui passait par la tête. Il aurait pu continuer longtemps si un grand costaud n’était pas venu empoigner l’excité qui ne pesait pas lourd et ne l’avait purement et simplement jeté sur le trottoir.

– Si on peut plus boire l’apéro en paix, ça va plus ! Déclara-t-il en reprenant sa place au grand soulagement du capitaine. »

Martine Marck, Un hiver bien rude, pp. 109-111, Editions Stellamaris, 2018.

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