Les fours à chaux de Vaucouleurs
Lieux évoqués : Vaucouleurs, Chalaines.
Les parents
« Nous ne roulions pas sur l’or. En effet, mon père travaillait aux fours à chaux de Vaucouleurs comme manœuvre. Son travail consistait à pousser les wagonnets remplis de pierres calcaires extraites de la carrière pour les vider dans un four. Bref, il exerçait le dur labeur de carrier. C’était un travail pénible qui demandait de la force. De ce point de vue, il n’en manquait pas, ses épaules et ses bras étaient bien charpentés. Je dois tenir de lui quant à mon aspect physique. Selon les semaines, il embauchait assez tôt. Son poste était permanent, jour et nuit. Les ouvriers appelaient cela, faire les trois fois huit heures, et ce, par tous les temps. Lorsqu’il était du matin, à 3h30, il partait déjà au travail pour prendre son poste à 4h et en revenir vers 12h30. Une autre semaine, il partait à 11h30 pour prendre son poste à 12h et en revenir vers 20h30. La semaine suivante, c’était le poste de nuit. Il enfourchait son vieux vélo de marque Peugeot avec sa musette sur le dos et il cheminait parfois difficilement sur la « grand’route » quelques soient les conditions, qu’il pleuve ou qu’il neige. Ce métier éprouvant demandait du réconfort : un morceau de pain parfois rassis, un saucisson ou plusieurs tranches de jambon, et du fromage, sans oublier la chopine de vin rouge. Le pinard, comme il disait, celui qui enlève la poussière dans la gorge. Cela suffisait pour pouvoir résister à la fatigue et redonner ainsi de l’allant, de la vigueur. Les barres de céréales d’aujourd’hui n’auraient sans doute pas suffi à calmer l’estomac de ce travailleur de force. Il s’habillait d’un bleu de travail, d’une casquette, de bottes ou de brodequins à clous. l’hiver, il revêtait une canadienne fourrée ; en guise de chaussettes, il enroulait des chiffons autour de ses pieds, puis les glissait ainsi protégés du froid dans les chausses. Il avait découvert ce genre de débrouille lorsqu’il était prisonnier en 1940 en Allemagne. Il appelait ça les « chaussettes » russes. Distante de quelques kilomètres, cette usine embauchait bien d’autres personnes de Chalaines. Ses camarades Maurice Forter et Louis Cochener n’ont pas connu la retraite. Usés par ce dur travail, ils se sont éteints assez tôt, à un âge où l’on pouvait encore prétendre durer et profiter pleinement de la vie et des loisirs. »
Jean-Luc Quémard, Une jeunesse au temps des mirabelles, 1952-1968, pp. 85-86.