« Ô Metz, mon berceau fatidique… »
Lieu évoqué : Metz.
Ode à Metz
« Ô Metz, mon berceau fatidique,
Metz, violée et plus pudique
Et plus pucelle que jamais !
Ô ville où riait mon enfance,
Ô citadelle sans défense
Qu’un chef que la honte devance,
Ô mère auguste que j’aimais.
Du moins quelles nobles batailles,
Quel sang pur pour les funérailles
Non de ton honneur, Dieu merci !
Mais de ta vieille indépendance,
Que de généreuse imprudence,
A ta chute quel deuil intense,
Ô Metz, dans ce pays transi !
Or donc, il serait des poètes
Méconnaissant ces sombres fêtes
Au point d’en rire et d’en railler !
Il serait des amis sincères
Du peuple accablé de misères
Qui devant ces ruines fières
Lui conseilleraient d’oublier !
Metz aux campagnes magnifiques,
Rivière aux ondes prolifiques,
Coteaux boisés, vignes de feu,
Cathédrale tout en volute,
Où le vent chante sur le flûte,
Et qui lui répond par la Mute,
Cette grosse voix du bon Dieu !
Metz, depuis l’instant exécrable
Où ce Borusse misérable
Sur toi planta son drapeau noir
Et blanc et que sinistre ! telle
Une épouvantable hirondelle,
Du moins, ah ! tu restes fidèle
A notre amour, à notre espoir !
Patiente encor, bonne ville :
On pense à toi. Reste tranquille.
On pense à toi, rien ne se perd
Ici des hauts pensers de gloire
Et des revanches de l’histoire
Et des sautes de la victoire.
Médite à l’ombre de Fabert.
Patiente, ma belle ville :
Nous serons mille contre mille,
Non plus un contre cent, bientôt !
A l’ombre, où maint éclair se croise,
De Ney, dès lors âpre et narquoise,
Forçant la porte Serpenoise,
Nous ne dirons plus : ils sont trop !
Nous chasserons l’atroce engeance
Et ce sera notre vengeance
De voir jusqu’aux petits enfants
Dont ils voulaient – bêtise infâme ! –
Nous prendre la chair avec l’âme,
Sourire alors que l’on acclame
Nos drapeaux encore triomphants !
Ô temps prochains, ô jours que compte
Éperdument dans cette honte
Où se révoltent nos fiertés,
Heures que suppute le culte
Qu’on te voue, ô ma Metz qu’insulte
Ce lourd soldat, pédant, inculte,
Temps, jours, heures, sonnez, tintez !
Mute, joins à la générale
Ton tocsin, rumeur sépulcrale,
Prophétise à ces lourds bandits
Leur déroute absolue, entière
Bien au delà de la frontière,
Que suivra la volée altière
Des ‘Te Deum’ enfin redits ! «
Paul Verlaine, Poème écrit à Paris le 17 septembre 1892, dans Invectives.
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