La choure

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : rue Saint-Georges

La Bouffe, Nancy, 84/86

« Beauzardeux fauché, et ruiné par les fournitures à acheter, à condition de ne pas me faire chopper, trimer dans une Usine à hamburgers offrait quelques avantages… Mais insuffisant, et je n’y pointais pas tous les jours, donc, la « Choure », comme on disait, il y avait en ces ères de vinyles jurassiques un supermarché à l’ancienne rue Saint-Georges, sur quatre étages avec des îlots de caisses un peu partout, des escalators … Une version un peu surannée des grands temples mercantiles parisiens : Le Prisunic. Je farcissais les poches latérales de mon treillis des disparus En Cas de Knorr, avant de passer à une caisse pour payer une connerie à trois francs. Je devais ressembler à une abeille rentrant de la ruche avec ces bosses sur mes cuisses, et n’ai jamais mangé autant de brandade de morue en poudre de toute ma vie (je mettais moins d’eau bouillante que recommandé, histoire que ça tienne bien au ventre) … La petite Manu avait une autre méthode : du haut de son mètre cinquante, elle était toujours engoncée dans un perfecto XXXXL. Ça lui donnait un look aussi unique qu’improbable. Elle prenait une boîte de thon, de sardines, de pâté… La considérait, circonspecte, avant de la reposer en rayon. Sauf qu’à un moment précis, celle-ci glissait dans sa manche. Il lui suffisait ensuite de tirer les fermetures éclair sur ses avant-bras et de passer à une caisse avec une connerie à trois francs, ticket bien visible pour décrisper le cerbère à la sortie… Avec quelques autres qui avaient aussi leurs techniques, on s’est offert de nombreux banquets improvisés. »

Stephan Alvarez, Hamburger Baby, Les Peuples de la nuit, 2021

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