Qu’il entre !

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Rue des Maréchaux

« Sophie, en janvier 1800, est effondrée. Non seulement elle supporte de moins en moins la famille Hugo, non seulement Léopold la fatigue mais encore la voici, à nouveau, enceinte, Et Abel qui n’a que quatorze mois et qui pète de santé réclame une surveillance permanente, épuisante. Sa vitalité est redoutable. Il touche à tout, grimpe partout, suce tout, risque cent fois par jour une blessure ou un accident mortel. On le rattrape au bord des fenêtres, on lui retire les objets les plus divers de la bouche, et Sophie n’est un peu tranquille que lorsqu’il s’endort, épuisé. Car, bien entendu, elle ne veut le confier à personne, prétendant que la vivacité de son fils est plus grande que celle de sa grand-mère et de ses tantes réunies.

Et le nouvel enfant qui s’annonce ne la réjouit guère. Cette fois, elle va être clouée à Nancy pour longtemps, et la perspective du printemps et de l’été qu’elle devra encore passer ici avant de faire ses couches en septembre la déprime complètement.

Le seul sourire de ce mois de janvier, c’est l’arrivée, un jour à l’improviste, du fringant La Horie. Il débarque comme ça, tout à trac, rue des Maréchaux, un après-midi. Abel fait la sieste et Sophie, seule  dans une salle du rez-de-chaussée, tricote sans entrain près de la cheminée quand, soudain, Victoire fait irruption : « Il y a là un cavalier qui te demande. – Un cavalier ? dit Sophie, mais qui est-ce ? – Le citoyen Victor Fanneau de La Horie », récite Victoire qui a dû répéter ce nom tout le long du couloir pour le restituer entier. Sophie, soudain ressuscitée, a bondi sur ses pieds. Tout à coup, elle s’aperçoit qu’elle est coiffée n’importe comment, qu’elle n’a pas changé de robe depuis trois jours, qu’elle est chaussée de souliers défraîchis. Comme si le nom de La Horie lui rendait une coquetterie perdue depuis des mois. Et puis, tant pis, il est trop tard pour se pomponner, qu’il entre. « Qu’il entre ! dit-elle joyeusement, qu’il entre ! »

Geneviève Dormann, Le roman de Sophie Trébuchet, Livre de poche, 2015, p.154.

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